Connaissez-vous le très chouette Souk à la SAT, cette sorte de salon des métiers d'art moderne réinventé, urbain, design, pour amateurs de minimalisme à la scandinave, de recyclé intelligent façon Brooklyn, de créativité à la californienne?

Ce paradis pour bobos assumés aura lieu le week-end prochain, à la Société des arts technologiques (SAT), boulevard Saint-Laurent. Et je me faisais un plaisir à l'idée d'y aller, histoire de faire du shopping du temps des Fêtes, de boire un verre de vin et de prendre ensuite une bouchée avec ma famille au restaurant du dernier étage, le FoodLab.

Sauf que les enfants, ai-je appris, n'ont plus le droit d'y aller.

L'été dernier, quand la terrasse était ouverte, on pouvait les emmener à la SAT, parce que le permis de bar du FoodLab permet aux mineurs d'être avec leurs parents, à l'extérieur, jusqu'à 20h. Mais à l'intérieur? Non. Le permis ne le permet pas. Parce qu'un permis de bar permet d'y servir du vin, les mineurs sont interdits de présence.

Au Québec, n'essayez pas de trouver des formules de restauration créatives qui ne correspondent pas aux chemins tracés et aux ornières des bureaucrates et de la Loi sur les permis d'alcool.

N'essayez pas d'amener votre poupon dans son siège de bébé pour veiller avec vous sur une terrasse pendant les longues soirées d'été - je le sais, j'ai déjà essayé. C'est interdit.

N'essayez pas d'être un touriste italien ou péruvien avec vos enfants dans un endroit chouette qui n'a pas le bon permis, à la bonne heure. On vous dira qu'au Québec, c'est ainsi. Quand il y a de l'alcool, on ne fait plus confiance uniquement au jugement des parents. On tatillonne, on coupe les cheveux en quatre, on oublie le gros bon sens. Et puis, d'ailleurs, ne devraient-ils pas être couchés, ces enfants-là?

Entre l'attitude de croisés des douaniers canadiens quand on leur annonce, en arrivant au pays, qu'on a dépassé l'exemption pour le vin et le zèle bureaucratique au sujet des permis d'alcool, on se croirait au temps de la prohibition, dans le mauvais pays.

Même l'Association des restaurateurs du Québec est en train de mettre de l'eau dans son vin - jeu de mots pas terrible, mais voulu - au sujet de la cuisine de rue, en acceptant au moins maintenant l'idée que cela puisse exister. De façon très balisée, certes, et très limitée, afin de protéger les restaurants membres de l'Association d'une concurrence qui leur fait peur. Néanmoins, le dossier avance, et on est loin de l'époque du non tous azimuts.

Et, pendant ce temps, le dossier des permis d'alcool stagne. À part mettre à la poubelle, dissolution de l'Assemblée oblige, l'ancien projet de loi 68 qui réglait toutes sortes d'aberrations, à part annoncer de complexes voire ingérables augmentations rétroactives des taxes sur l'alcool, le nouveau gouvernement fait quoi pour régler le problème, vite?

Il faut dépoussiérer rapidement la Loi sur les permis d'alcool, qui fait que dès qu'il est question d'ouvrir un restaurant, d'organiser un événement spécial, un salon de dégustation, une fête, pratiquement le moindre pique-nique, tout le monde lève les yeux au ciel en se demandant par quel angle la complication va arriver.

Est-ce normal, par exemple, que les restaurants aient parfois besoin d'obtenir plusieurs permis différents pour un seul et même lieu s'il y a, par exemple, une terrasse, une partie bar et une section cuisine dans leur établissement? (Situation aberrante à la source des problèmes du Souk.)

Est-ce normal que, pour pouvoir prendre un verre de vin dans un restaurant, on soit obligé de manger un repas complet? Dans un monde où tout le monde nous dit sans cesse qu'on mange trop...

Est-ce normal, dans un monde où on préfère aussi, n'est-ce pas, que les gens ne conduisent pas trop saouls, qu'on ne puisse pas repartir du restaurant avec une bouteille de vin entamée, sans la terminer?

Vous le savez, je ne suis pas madame antiréglementation à l'américaine ou à la sauce Ann Coulter. Je crois au rôle de l'État dans l'encadrement des pratiques dans toutes sortes de domaines, notamment quand la voracité des grandes entreprises menace le gros bon sens. Mais je crois aussi que dans tout ce qui touche l'alcool, au Québec, nous vivons dans un monde d'hyper-réglementation arriérée, héritée d'une époque pré-Mad Men totalement dépassée.

Nos comportements relativement au vin, à la bière et aux alcools forts ont beaucoup évolué. Pensez aux fameux «lunchs liquides» des années 60. Ils ne font plus vivre les restaurants du centre-ville. Le vin? On est capable d'en prendre un verre seulement, au lunch, sans que cela ne devienne une beuverie comme si nous étions tous des adolescents en goguette. D'ailleurs, les restaurants l'ont compris: l'offre du vin au verre a explosé depuis 10 ans.

Pourquoi la loi, elle, nous traite tous, clients et restaurateurs, comme si nous n'étions pas capables de nous autogérer comme des adultes? Et d'amener sagement nos enfants encourager les artisans d'ici, dans un marché de Noël?