Hier midi, pour la je-ne-sais-plus-combien-ième fois, je suis tombée sur des manifestants et des policiers en sortant du bureau.

Ambulances, paniers à salade, voitures remplies d'agents d'un côté, rue Saint-Jacques. Jeunes en colère de l'autre bord, rue Saint-Antoine.

Je ne suis pas restée pour entendre leurs slogans ou humer le poivre brûlant.

Découragée, exaspérée, fatiguée, je suis partie manger plus loin.

Comme bien des gens autour de moi, qui ont des carrés de toutes les couleurs ou pas de carré du tout: la grève, plus capable.

Plus capable des étudiants, plus capable des policiers, plus capable du gouvernement.

Plus capable d'avoir l'impression que personne ne veut régler ce conflit.

Après trois mois de ce manège, oui, manège, comme dans tourner en rond, sans fin, il est temps de changer de paradigme.

D'abord, l'évidence: il est temps que les étudiants comprennent qu'ils n'obtiendront pas tout ce qu'ils demandent et qu'un moratoire n'est pas une solution politiquement réaliste. L'idéalisme, c'est bien beau, mais veulent-ils avoir raison ou veulent-ils avoir une solution?

Cela dit, il est aussi temps que le gouvernement comprenne, lui, qu'il a affaire à des jeunes qui ne fonctionnent pas comme les autres groupes de pression auxquels il fait habituellement face, dont certaines franges imprévisibles se radicalisent un peu plus chaque jour qu'il laisse le dossier pourrir et, surtout, qu'il a affaire à un mouvement dont la détermination et l'intransigeance ont des racines beaucoup plus profondes et étendues que les pro-hausse ne veulent le croire.

Marginaux, les partisans de la ligne dure étudiante? Marginaux, les leaders qu'on voit partout? «En fait, comme on l'a vu avec le rejet de l'offre, les porte-parole sont même dépassés par leur base qui est plus radicale», a remarqué hier en entrevue Jean-Pierre Couture, professeur adjoint en études politiques à l'Université d'Ottawa.

Si la masse des cégépiens et universitaires était si en désaccord avec la fronde, elle l'aurait acceptée, la fameuse initiative gouvernementale de «compromis».

La détermination des étudiants est inédite.

Ce n'est pas les appuyer ni entériner leurs gestes que de dire qu'il faut nécessairement tenir compte de cette dynamique sans précédent.

Je ne sais pas de quelle couleur est le carré de ceux qui ont changé d'avis depuis le début du conflit et qui croient qu'il faut faire un geste d'une magnanimité indiquant aux jeunes qu'ils ont été compris et entendus, mais je suis de ceux-là. Je ne sais pas de quelle couleur est le carré de ceux qui croient que le gouvernement doit prendre acte de la fronde, avec respect, j'en suis aussi.

Je vous entends déjà dire qu'on encourage ainsi la désobéissance civile, la descente dans la rue, la violence, l'illégalité...

Non.

Ce n'est pas vrai que si le gouvernement change de cap et s'assouplit, il enverra ainsi le message aux revendicateurs et à toute la société qu'il suffit de lancer des pierres et de casser des vitrines pour obtenir ce que l'on veut.

Mobilisation, appui solide aux leaders malgré la tempête, prise de risques graves... Il y a dans ce mouvement étudiant et dans les événements des dernières semaines un cocktail d'ingrédients qui n'a jamais été vu et qu'on imagine difficilement être reproduit - non, je ne pense pas que les opposants, disons, à une hausse des tarifs d'électricité seraient organisés et mobilisés et actifs de la même façon. Le caractère unique de ce qui se passe oblige une mise à jour stratégique de la part de Québec.

Et une mise à jour d'attitude.

Il manque de grandeur dans ce qui émane de l'État. Il manque de ce respect pour la colère si essentielle à son apaisement. Il manque aussi de gestes concrets qui visent à calmer le sentiment d'injustice animant ces étudiants - et leurs supporteurs. Payer plus, c'est une chose. Être les seuls à encaisser une hausse de tarifs d'une telle proportion (imaginez des hausses de 75% ailleurs...), c'en est une autre.

Partout on traite les étudiants d'enfants-rois.

Alors sortons les livres d'éducation sur l'art d'être ferme, mais constructif, sur l'art de se parler pour avancer et résoudre. Oublions l'idée de chercher un vainqueur et un vaincu. Il n'y en aura pas. Peu importe ce qu'en pensent autant ceux qui n'en peuvent plus des manifs que ceux qui n'en peuvent plus du gouvernement.

Ce n'est pas d'une nouvelle ministre de l'Éducation que cette situation a besoin, c'est d'une thérapie familiale.