La semaine dernière, un groupe de goûteurs s'est retrouvé dans un lieu de Montréal pour déguster dans le plus grand anonymat plusieurs verres d'un liquide précieux. Silencieusement et parfois moins, ils ont fait rouler le nectar dans leur bouche pour en comprendre toutes les subtilités, toute la complexité. Pour tester leur savoir, histoire de s'assurer que leurs choix ne se faisaient pas au hasard, on a même mélangé aux potions précieuses des versions bon marché, de type «dépanneur». À l'issue de la séance, ils ont proclamé trois gagnants.

Trois sirops d'érable d'exception.

Un élégant classique sage. Un plus caramélisé, aux accents torréfiés enrobés comme une main de fer dans un gant de velours. Et un grand gagnant, tout en équilibre, produit à Knowlton par Pierre et Haisook Somers.

L'exercice est une des multiples activités organisées par la Commanderie de l'Érable, association de petits producteurs de sirop qui ont décidé d'élever cet ambre coulant à un autre niveau. Ils veulent créer autour de ce produit québécois une nouvelle culture faisant écho à celle du vin. Parmi les juges du concours, il y avait d'ailleurs un grand producteur bourguignon, Claude Chevalier.

Terroir, appellations, techniques réglementées, grands crus, sirops de pays... Dans la tête des gens d'affaires qui ont lancé ce mouvement (banquiers à la retraite, dirigeants de sociétés, entrepreneurs et autres adorateurs du produit), le sirop d'érable mérite d'être dorloté et encadré exactement comme l'est la production de vin en France, avec tout le potentiel commercial, touristique, culturel et gastronomique que cela peut amener.

D'une part, «il faut protéger les objets de production et le savoir», explique-t-il. Et d'autre part, il faut amener le sirop plus loin. «Il faut faire connaître les sirops d'exception», soit les sirops de producteurs indépendants, qui viennent d'un terroir précis et d'arbres précis, pas du tout industriels. Et qui mettent autant de minutie dans leur travail que les producteurs dans les vignobles classés.

Et si, au lieu d'avoir uniquement accès à du mauvais sirop parfois pas très d'érable, Français et Américains pouvaient un jour acheter de grands crus québécois, avec appellations contrôlées?

Mais le sirop peut-il devenir comme le vin, un produit travaillé où les moindres saveurs et arômes sont ciselés avec des techniques de plus en plus précises et poussées?

Oui, répond la microbiologiste Marie Filteau, de l'Université Laval, dans une thèse de doctorat où elle a étudié la «biotransformation de la sève» par des bactéries et des levures qui viennent donner au sirop d'érable une bonne partie de son goût caractéristique. Mme Filteau ne croit pas que le terroir, donc la terre dans laquelle poussent les érables, ait un impact immense sur le goût du sirop. Mais elle croit que bien d'autres éléments de l'environnement direct ont une influence dès qu'ils se trouvent là où coule la sève, en commençant par les micro-organismes vivant dans et sur l'arbre, ainsi que peut-être sur les mains de ceux qui récoltent le précieux liquide, ou qui se sont accumulés dans les tubes où il coule. Tout ça, conclut-elle, joue un rôle important dans la saveur finale du sirop.

Par exemple, le fameux petit goût caramélisé, parfois trop brûlé, du liquide ne serait non pas déterminé principalement par la cuisson, mais plutôt par les ingrédients de la sève elle-même.

Lundi, au musée Pointe-à-Callière, la Commanderie a organisé un événement de financement pour sa Fondation. Son objectif: encourager des projets culinaires - pour aider les chefs et futurs chefs à comprendre ce qu'est le sirop, comment il peut être d'exception et comment le mettre en valeur -, encourager des projets sur l'histoire du sirop et aider la recherche sur les qualités médicales du sirop, dont le potentiel nutraceutique est apparemment fort intéressant, grâce à ses antioxydants.

Dans un monde idéal, explique Pierre Somers, la Commanderie aimerait même qu'un jour, il y ait un musée de l'érable tout près du musée Pointe-à-Callière, et pourquoi pas une exposition itinérante qui s'appellerait «Le sirop d'érable chez les Québécois», de la même façon que tourne autour du monde l'expo «Le vin chez les Gaulois».

Dans la salle, il y avait des dizaines de gens d'affaires, mais aussi Martin Picard, du Pied de cochon, qui vient de publier un livre sur le sirop dont même les médias américains ont parlé. Picard est probablement le plus connu de ces nouveaux chantres de la prise au sérieux de ce sucre liquide produit très majoritairement au Québec. (Oui, la province fournit 80% du sirop sur le marché mondial et, d'ailleurs, 75% de sa production est exportée, aux États-Unis et au Japon, entre autres.)

Dans son nouvel ouvrage, il plonge lui aussi dans la complexité chimique et biologique du liquide, notamment sa transformation dans le temps et l'impact de cette évolution sur l'utilisation qu'on peut en faire en pâtisserie.

Sucre, beurre, barbe à papa, glace, tire... L'équipe de Picard cherche à pousser l'érable plus loin, et c'est pour ça qu'il est venu lui aussi encourager les oeuvres de la Commanderie.

Mais comment aime-t-il vraiment son sirop?

Au verre, m'a-t-il récemment confié. Exactement comme le bourgogne.