Dans le petit monde de la critique gastronomique, Alan Richman est une légende.

Gagnant 14 fois du grand prix de journalisme James Beard, spécialisé dans l'art de la table, il écrit pour le magazine américain GQ ainsi qu'une foule d'autres publications. Quand il publie un texte, ça ne passe jamais inaperçu, comme l'a bien montré, l'été dernier, une critique dévastatrice du service et de l'attitude chez M. Wells, ancien restaurant du chef québécois Hugue Dufour dans Queens.

Ce qu'on sait peu, toutefois, au sujet de Richman, c'est que cet Américain qui a fait la guerre du Vietnam a commencé sa carrière de critique gastronomique au milieu des années 70 à Montréal, où il était venu travailler comme chroniqueur sportif au Montreal Star. Demandez-lui de vous parler de ses souvenirs de la métropole et ils résonneront comme des roues sur les pavés de la vieille ville, évoquant les parfums d'une cuisine française au guéridon comme on en servait dans les belles années de Bardet et du Paris.

«Je suis resté deux ans, mais je suis revenu souvent», raconte-t-il en entrevue, lors d'un récent passage à Montréal, en compagnie de Costas Spiliadis, propriétaire du Milos. Le journaliste a fait avec le restaurateur un voyage gourmand en Grèce dont le récit, publié dans le magazine enRoute, lui a valu le prix Bert Greene, de l'Association internationale des professionnels de la cuisine.

En 1974, quand Richman a commencé à écrire sur les restaurants, c'était donc ici. «Je partageais cette chronique avec Bee McGuire et on faisait semblant d'être ensemble», raconte-t-il. Le frère de Mme McGuire, James McGuire, est un grand boulanger qui a longtemps tenu Le Passe-Partout sur le boulevard Décarie, dans Notre-Dame-de-Grâce, restaurant que Richman adorait. «Il faisait de la cuisine française deux étoiles et c'était formidable, relate le critique. C'était mon restaurant préféré.»

Une fois rentré à New York, Richman a continué à faire des sauts de puce à Montréal. Il venait manger aux Halles, rue Crescent, «qui était très bon à l'époque». Ou alors il s'arrêtait au Paris, rue Sainte-Catherine, boire du Pisse-Dru et manger de la langue de veau ou du céleri rémoulade. Il faisait parfois une pause chez Schwartz's - «qui n'aime pas Schwartz's» - et se rappelle les violons du Castillon, à l'hôtel Bonaventure, et la cuisine française avec du fromage sur tout.

Durant les années 80, la qualité a beaucoup décliné, note le critique. Beaucoup. Quand, en 1989, Normand Laprise a ouvert son premier restaurant, Citrus, puis Toqué! , le retour de Montréal a commencé, mais lentement. «Laprise a été pendant 10 ans le seul à tenir un bon restaurant. Il était bon, incroyablement bon, et personne n'a été un tiers aussi bon pendant des années.»

Mais d'autres restaurants ont finalement commencé à voir le jour, comme Les Chèvres, avec le chef Stelio Perombelon et le propriétaire, Claude Beausoleil, un de ceux qui avaient lancé Citrus. «Je me rappelle avoir mangé le menu légumes chez Per Se à New York et m'être dit à moi-même: c'était meilleur aux Chèvres», note Richman en souriant.

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De sa visite à l'automne, le critique se rappelle notamment une visite mémorable aux 400 Coups. «Mais d'où est sorti cet endroit?», m'a-t-il écrit dans un courriel résumant ses impressions sur la ville, une fois rentré chez lui. «J'y suis allé avec trois amis, on a pris six plats de la carte du lunch et j'ai tout adoré sauf mon steak araignée, note le journaliste. Comment font-ils pour qu'un dessert fait de granité de litchi et de yaourt soit si convaincant?»

Durant sa visite, il est retourné voir quelques classiques: Beautys, les bagels St-Viateur, L'Express, Schwartz's où il s'est réjoui de voir les boissons gazeuses servies fraîches («Enfin un problème de réglé après un siècle environ»). Il a remis sur son itinéraire Olive " Gourmando, où le croissant aux amandes fut un des pires qu'il ait jamais mangés, dit-il. «Avant on mangeait bien et le service n'allait pas du tout, maintenant on dirait que c'est l'inverse.» Au XO du St-James, la soupe à l'oignon l'a charmé malgré la petitesse du plat. «Très bonne, mais très précieuse.»

Chez Beauty's, Hymie Skolnick, le fondateur qui a aujourd'hui 90 ans, était sur place et se rappelait de lui. «Moi, quand je vais avoir 90 ans, je vais beurrer mon bagel et, une minute plus tard, je vais avoir oublié si je l'ai beurré ou pas.» Il a adoré encore et toujours le décor, le service, la cuisine.

À L'Express, le critique n'a pas été déçu ni ravi, alors que chez St-Viateur, autant les bagels au sésame étaient à la hauteur des attentes, autant ceux aux grains de pavot l'ont désappointé. «Trop dur, sans goût. Cela m'inquiète plus que vous ne pouvez vous imaginer.»

Poursuivant son voyage, le journaliste s'est arrêté au Filet où l'éclairage lui a fait penser à un «salon de coiffure». En revanche, «j'ai trouvé la cuisine de premier niveau, parfois même brillante». «Vous savez, la poutine au foie gras d'Au Pied de Cochon que tout le monde (pas moi) encense depuis le début de ce siècle? demande-t-il. Oubliez ça. La soupe à la racine de persil aux moules et au foie gras (poêlé?) est la surprise au foie gras du siècle. La soupe du siècle aussi. Et une aubaine. Un bol à 13$ est suffisant pour lancer le repas de quatre personnes.»

«Mes pensées sur Montréal, comme ville gourmande: meilleure que jamais. J'aimais un endroit appelé Les Chèvres, à Outremont, maintenant fermé. Avec tout mon respect pour Au Pied de Cochon, j'ai toujours cru que le style Les Chèvres serait celui de l'avenir de la scène gastronomique à Montréal. Je crois la même chose au sujet du Filet et des 400 Coups. Ils sont exactement là où il faut. Aujourd'hui, je mettrais Montréal en haut d'une liste avec San Francisco comme les deux villes nord-américaines les plus prometteuses.»