«Toute se peut.»

Ce n'est pas moi qui le dis. La preuve, c'est que moi, j'aurais dit «tout» parce que je suis une élitiste du français, comme me l'ont dit certains lecteurs. Une élitiste qui tient à son masculin et son féminin.

Ce n'est donc pas moi qui le dis, c'est Dave Ouellet, alias MC Gilles, adorable DJ bouffon qui aime déterrer du fin fond de notre culture ses perles du pire goût et les plus extravagantes.

«Toute se peut» est sa maxime de vie. Une sorte de mantra qui permet d'accepter que, juste quand on pense que quelque chose est impossible, pouf! on se rend compte que non, il y a un hurluberlu dans son sous-sol qui y a pensé, que ce soit chanter les Beatles avec un accent provençal ou collectionner les cuillères roses en plastique.

«Tout se peut», c'est aussi une des rares façons d'expliquer et de rassembler ce qui arrive sur la scène politique fédérale. Et d'y donner un peu de cohérence. D'une actualité invraisemblable à une autre, la maxime de MC Gilles s'est imposée.

Par exemple, qui aurait cru qu'un gouvernement puisse remettre en question le travail de l'une de ses institutions de recherche les plus expertes et les plus crédibles, Statistique Canada?

Eh bien voilà. Tout se peut.

Les conservateurs tiennent tellement à démanteler le registre des armes à feu qu'ils n'écoutent même plus les chefs de police, ce qui fait que maintenant, l'Association canadienne des chefs de police réplique en lançant une publicité pro-registre et donc anti-tory! Tout se peut.

Depuis quand un gouvernement dirigé par le parti de la loi et de l'ordre entre-t-il en conflit avec la police?

Depuis cet été. Parce que tout se peut.

Oh, et saviez-vous que le grand patron du registre à la Gendarmerie royale du Canada, grand défenseur de cet outil dont la survie est remise en question, a été tassé? Ou plutôt, qu'on l'a envoyé apprendre le français?

Oui, le français.

Je vous le dis, tout se peut.

Qu'importe si vous étiez en train de vous demander si le français parlé hors du Québec n'avait pas plutôt arrêté de compter puisque l'un des outils cruciaux des communautés francophones, la mesure de leur présence, venait de prendre le bord avec les changements au recensement.

Apparemment, le français est très important pour les gens qui supervisent les patrons de la GRC.

Je vous le dis, tout se peut...

* * *

En fait, tout (et son contraire) est tellement possible que, si vous regardez dans les archives des journaux, vous allez réaliser que le resserrement du contrôle des armes à feu n'est pas une bête gauchisante sortie des cerveaux «libéraux» urbains de Cabbage Town, à Toronto, ou de Kitsilano, à Vancouver.

Toute la politique de contrôle des armes à feu qui a abouti au registre dont les conservateurs veulent amputer un morceau crucial - l'enregistrement des armes d'épaule - a plutôt été lancée en 1990, au lendemain de la tragédie de Polytechnique, et au lendemain du dépôt d'une pétition signée par plus d'un demi-million de Canadiens, par un gouvernement... conservateur.

C'est sous Brian Mulroney, quand Kim Campbell était ministre de la Justice, que tout a commencé.

Les libéraux ont mené la politique plus loin, mais ce sont les conservateurs qui ont lancé le processus, qui ont déposé en 1990 un premier projet, lequel est mort au feuilleton, et qui sont revenus à la charge en 1991, et qui ont multiplié les efforts pour que ce projet-là soit finalement adopté...

À l'époque, ils devaient déjà faire face aux réticences des députés ruraux, ce qui les limitait. Mais ce sont eux qui ont amorcé des changements, sous les hauts cris de députés du NPD, qui leur enjoignaient d'aller plus loin...

Mais le NPD, n'est-ce pas la formation politique qui, aujourd'hui, laisse ses députés voter librement sur la question, sans discipline de parti? Eh oui, tout se peut...

Tout se peut, au point où juste quand on pensait, après toutes leurs tergiversations, que les libéraux n'arriveraient jamais à se décider, oups, ils ont enfin tranché: les députés seront obligés par leur whip de voter contre le démantèlement du registre.

Et comme tout se peut, cela se passera, cet automne, sur fond de militantisme policier.

Un gouvernement à droite de ses forces de l'ordre?

Apparemment oui. Tout se peut.