Susan se décrit elle-même comme une vraie hippie. Une représentante en bonne et due forme de ceux qui ont cru au flower power et qui pensaient que l'Amérique, dirigée par leur génération, deviendrait une terre de joie, d'harmonie et d'amitié.

Si bien que, quand est venu le temps d'adopter des enfants, l'idée d'accueillir des poupons noirs lui a souri comme le reste de l'existence au pays de John F. Kennedy.

Ce qu'elle ne savait pas, c'est que ses filles grandiraient en noir et blanc et en se posant le même genre de questions identitaires que le président désigné des États-Unis d'Amérique.

C'est parce que leur famille était mixte que Susan et son mari ont décidé de déménager à Hyde Park, un quartier aussi mixte, aisé, voire parfois carrément cossu, qui s'étend sur le flanc nord du campus de l'Université de Chicago et qui côtoie les ghettos du South Side.

C'est dans ces rues plantées d'arbres matures et bordées de demeures anciennes, dont certaines sont signées Frank Lloyd Wright, qu'habitait jusqu'à tout récemment la famille Obama.

Habillée comme une ado avec ses bottes Ugg, ses gants de laine rayés et ses Ray-Ban, Susan est aussi typique de Hyde Park que les jeunes Noirs au fond de culotte traînant par terre qui arpentent les trottoirs menant aux innombrables librairies du quartier. Certains appellent d'ailleurs le coin le «Berkeley de Chicago».

De toute évidence, Susan adore son quartier. Elle est fière de sa diversité et de ses richesses historiques et architecturales - «saviez-vous que la faculté de droit où a enseigné Obama a été dessinée par Mies van der Rohe?» - et c'est pour cela qu'elle s'est portée volontaire comme guide touristique des nouveaux Obama Tours offerts par la ville de Chicago.

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

Depuis que les Obama ont séduit le pays, il règne à Chicago et au-delà une fascination sans borne pour les éléments les plus triviaux de la vie qui les a portés là où ils sont.

On veut savoir où ils mangeaient, où ils faisaient leurs courses, où ils commandaient leur pizza. Le propriétaire du salon de barbier où Obama se faisait couper les cheveux nous a même raconté hier que des touristes viennent se faire photographier dans la chaise où le président déposait son postérieur.

«Soyez comme Barack», titrait cette semaine le magazine Time Out Chicago, pour annoncer un reportage où on nous apprend comment draguer comme le président, où manger comme le président, quels livres lire, comment s'habiller, où faire du sport, quelle musique écouter pour être comme lui.

Et dans la ville, impossible d'oublier le prochain président: le maire de Chicago, un Blanc qui a succédé à deux maires noirs - dont le premier venait lui aussi de la communauté de Hyde Park -, a payé de sa poche pour faire installer des banderoles félicitant «Chicago's Own», Barack Obama.

L'intérêt, la fierté et carrément l'affection pour le nouveau président sont partout.

Au bureau de tourisme, on n'a pas de chiffres exacts qui montrent à quel point le président attire les touristes dans sa ville. «Mais il y a eu une augmentation significative», répond-on officiellement.

Et dans Hyde Park, les autocars bondés qui s'arrêtent pour voir l'imposante demeure des Obama ne surprennent plus les policiers chargés de la surveiller.

Cet intérêt n'a pas l'air encore d'exaspérer les commerçants du coin. Chez Dixie Kitchen and Bait Shop, le restaurant dont M. Obama a déjà fait la «critique» à la télé, on sert le repas présidentiel en souriant. Chez le coiffeur, on accueille les visiteurs, même les caméras de télé, avec cordialité.

Et Susan adore marcher dans son quartier pour nous montrer l'école des filles Obama, le centre médical où travaillait Michelle, l'ancien marchand de glaces où les Obama se sont embrassés pour la première fois et qui est aujourd'hui à louer. «Ils se sont assis là, sur la corniche en ciment...»

Lorsque je demande à notre guide, qui est de toute évidence une très grand fan du prochain président, si l'élection du premier Noir à la présidence l'a rassurée pour l'avenir de ses filles, elle me répond, contre toute attente, que non, ça ne change pas grand-chose. «Aux États-Unis, il y a toujours eu des îlots comme ici», dit-elle.

Des lieux comme Hyde Park, intégrés, paisibles, où l'harmonie régnait déjà avant cette élection historique, mais où on est plus que fier d'avoir un jour servi des johnnycakes - crêpes de maïs typiques du Sud -, coupé les cheveux ou vendu autant des pièges à fourmis qu'une biographie d'Abraham Lincoln à celui qui est devenu le nouveau leader du pays.