Cet été, il y a eu un gros dégât d'eau dans ma maison et un des papiers que j'ai retrouvés intacts, avec un immense soulagement, est une carte préparée par mes enfants, il y a quelques années, pour notre anniversaire de mariage.

Sur le morceau de carton de construction plié, on aperçoit une télévision affichant un gros coeur rouge. Et à l'intérieur, ces mots couverts de ratures: «Merci de nous avoir u dans votre vantre. Si jaurai pu joisir mes parent, je vous joisirer.»

Je n'invente rien, c'est écrit comme ça, en lettres attachées, en rouge sur fond bleu, preuve incontournable et fragile du visage gribouillé de la perfection.

Je parle comme si je saisissais bien le concept, comme si j'avais parfaitement intégré l'idée que la perfection, le modèle idéal, n'a rien à voir avec toutes les exigences brillantes et lisses et immaculées qu'on se met sur le dos comme parents.

Mais en fait, à part pour ce bout de papier, il m'échappe presque constamment. Alors j'essaie quand même et j'astique, je panse, je mitonne, je ramasse, j'agence, je replace, je refais, je cours... Pourtant, voilà un bon moment que les psy essaient de nous expliquer, surtout à nous les mères, qu'on n'a aucun intérêt à vouloir avoir l'air de parfaites Martha Stewart, Madonna ou Bree Van de Kamp.

C'est Donald Winnicott, pédiatre et psychanalyste anglais, dans les années 50, qui a été le premier à décrire et expliquer le concept aux mères britanniques. «Arrêtez d'essayer d'être parfaites, leur a-t-il lancé. Soyez acceptables, c'est bien suffisant.»

S'il avait vécu en 2008, il nous aurait probablement dit de jeter notre Guide alimentaire canadien, nos magazines Real Simple et Donna Hay, ainsi que nos traités sur le yoga pour enfants et nos bouteilles d'omégas-3 junior.

Effets pervers

D'accord, j'extrapole. Mais en substance, déjà à l'époque, il avait détecté dans le cadre de ses travaux les effets pervers de la quête de la perfection et la nécessité pour les parents de ne pas étouffer leurs enfants en les comblant et en ne leur laissant plus d'espace pour apprendre eux-mêmes à affronter la vie et ainsi acquérir leur indépendance.

En anglais, il a appelé ça la «good enough mother». Good, donc bonne, parce qu'il faut néanmoins répondre aux besoins des petits et ainsi les sécuriser.

Mais «enough», donc «suffisamment» comme dans «pas trop», parce qu'il faut, par l'imperfection quand même dosée, laisser aux enfants la corde nécessaire au développement de leur autonomie.

En d'autres mots, la mère «suffisamment bonne» peut dire, à son enfant, sans se sentir coupable, «si t'as perdu ta DS, cherche-la, tu vas la trouver», et retourner ensuite regarder Sophie Paquin, sans se trouver nulle de ne pas être à quatre pattes dans la salle de jeu, à remuer les coussins de tous les canapés pour retrouver le jouet en question.

Évidemment, la mère suffisamment bonne, s'assurera que son rejeton finisse par retrouver le bidule et en profitera pour jeter une petite brassée dans la laveuse. Mais le lendemain, elle partira au parc avec ses petits, sachant qu'elle a le droit d'en profiter pour bavarder avec les autres mamans sans être obligée de montrer son nombril à tout le monde en faisant le cochon pendu sur l'araignée géante.

Mais si elle constate, en arrivant devant les balançoires, que la petite a encore plein de confiture autour de la bouche, sera-t-elle capable de continuer sa matinée sans se sentir au moins un peu poche?

Apprendre à «laisser aller» est bien plus difficile qu'apprendre à marcher en équilibre sur un pont suspendu, entre une glissoire en forme de dinosaure et un donjon en plastique.

Pourtant, un gros bisou à la confiture qui reste collé sur la joue, y a-t-il quelque chose de plus parfaitement mignon que ça?