Peu avant la fin de la campagne électorale, mon collègue André Duchesne a compté combien de fois revenaient certains mots clés dans les communiqués officiels des partis.

C'est le mot «économie» qui a gagné le concours. Rien d'étonnant.

Le mot famille est arrivé en deuxième.

Pensez à votre famille. Nous voulons aider les familles. Notre parti comprend les besoins des familles.

 

Famille ici, famille là.

La famille était partout.

Sur le terrain, même topo. Je n'ai pas compté le nombre de fois où j'ai entendu le mot, du Québec à la Colombie-Britannique, mais je l'ai entendu au moins 1057 fois, c'est sûr.

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Parmi ceux qui ont claironné le mot le plus fort, il y a bien sûr les conservateurs. Après tout, historiquement et traditionnellement, cela a toujours été un thème cher à la droite. Mais durant cette campagne, tous les partis ont embarqué, y compris le néo-démocrate Jack Layton, qui a misé sur le thème lui aussi.

Famille, famille, famille.

Mais avez-vous l'impression, vous, que quiconque vous a parlé de votre famille, de vos enfants, de cette vie remplie de brassées de lavage, d'entraînements de hockey le samedi aux aurores, de crises d'asthme et d'otites, de poux, de recherches sur les pyramides et de conjugaisons, de piercings et de boîtes à lunch?

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Ce n'est pas la faute du fédéral, direz-vous, si les politiciens n'ont pas parlé de ces questions, c'est parce que la plupart des dossiers pratico-pratiques touchant le quotidien des familles sont de compétence provinciale ou municipale - santé, éducation, loisirs, etc. Mais cela, n'a pas empêché les politiques, eux, de se taire.

Alors, faute de pouvoir parler concret, on a parlé concept.

Les partis se sont accusés les uns les autres d'être «déconnectés» des familles, de «menacer» les familles canadiennes.

Mais si on regarde de près leurs arguments, chaque fois, ils parlaient surtout de politiques fiscale, environnementale ou énergétique qui touchait en réalité tout le monde, famille ou pas.

Bref, le mot est devenu une image, une façon de s'ancrer dans une réalité populiste.

Et re-bref, un demi-siècle après la publication de Refus Global, nous nous sommes retrouvés durant cette campagne dans un monde où le mot famille était redevenu une image qui avait l'air sortie directement d'un tableau de Norman Rockwell, de Papa a raison ou des Plouffe...

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Quand j'étais en Colombie-Britannique, deux militants conservateurs m'ont brandi le mot famille coup sur coup.

«Je suis pour la famille et c'est un parti pro-famille», m'a lancé un jeune qui n'a pas osé me dire qu'il était contre le mariage gai mais qui s'est arrangé pour que je le comprenne.

«C'est un parti pour les familles», m'a dit une mère, avant de vanter les bonifications aux programmes de congé de maternité que Stephen Harper a promises.

J'ai tenté d'entamer la discussion en rappelant que c'était un autre parti qui avait étendu de six mois à un an le congé payé par l'assurance emploi et que le parti qui se dit officiellement pro-famille est justement celui qui a mis fin au programme d'allocations familiales au début des années 90 avant de le remettre en place récemment...

Mais j'ai décidé de tout arrêter, en voyant que j'irais m'enfoncer dans un cul-de-sac. Mon interlocutrice me regardait avec de grands yeux qui semblaient me dire: «La famille, ce n'est pas une série de mesures, madame. C'est un état d'esprit, une façon de voir la vie.»

Même Jack Layton, le leader néo-démocrate, s'est rendu compte que le mot résonnait bien.

En fin de campagne, il a exhorté les Canadiens à voter pour son parti afin d'élire «un gouvernement qui travaille pour vous et vos familles tous les jours».

Il en a même rajouté: «On peut avoir un gouvernement qui n'est pas au service des besoins des familles, ou un qui l'est.»

À gauche, à droite, tout le monde se réclame de la famille.

Mais de qui parle-t-on exactement?