La désintégration, film de Philippe Faucon, se termine par un attentat-suicide à Bruxelles. Deux jeunes hommes conduisant une fourgonnette se présentent devant la grille du siège de l'OTAN. Au loin, peu après, leur complice entend une déflagration...

Ce long métrage troublant, à l'affiche en primeur la semaine dernière à la Cinémathèque québécoise, résonne d'autant plus fort à la lumière des attentats de mardi dans la capitale européenne.

On avait déjà qualifié La désintégration de «tristement prémonitoire» au lendemain de la tuerie qui avait fait sept victimes à Toulouse - dont trois enfants d'une école juive - à l'hiver 2012. Le film de Philippe Faucon, cinéaste français né au Maroc, venait alors tout juste de prendre l'affiche en France.

J'en ai déjà parlé dans le cadre de cette chronique. Il n'y a pas d'oeuvre qui, à mon sens, illustre mieux les méthodes d'embrigadement et de radicalisation des jeunes par les mouvements islamistes en Occident.

Qu'est-ce qui les pousse à devenir des meurtriers, des martyrs, des terroristes? Qui les recrute, les convainc et les endoctrine? Comment y parviennent-ils? Que sème-t-on dans l'esprit d'une jeune cégépienne de Laval pour qu'elle ait soudainement envie de rejoindre des djihadistes en Syrie? Pourquoi de jeunes hommes acceptent-ils de devenir des bombes humaines, entraînant dans la mort des dizaines de personnes à Paris, à Istanbul, à Bruxelles?

La désintégration, film de fiction hyper réaliste, propose quelques pistes de réflexion et réponses à ces questions difficiles. J'en avais discuté avec Philippe Faucon, cinéaste de Fatima, grand lauréat de la dernière soirée des Césars, il y a un peu plus d'un an, dans la foulée de l'attentat contre Charlie Hebdo.

Il reconnaissait, dans le parcours des meurtriers, celui des protagonistes de son film. L'acuité de son regard m'avait impressionné. Tout comme l'absence de complaisance et de manichéisme de son film. Même lorsqu'il est question de terrorisme, rien n'est tout noir ni tout blanc.

La grande force de La désintégration réside justement dans la lucidité de son auteur vis-à-vis de l'attrait de l'islamisme, tel que présenté par des prédicateurs habiles et pernicieux, pour de jeunes Occidentaux humiliés et désenchantés, séduits par les discours les plus extrémistes.

Le récit de La désintégration est campé en banlieue de Lille, dans le nord de la France. Mais il aurait tout aussi bien pu dépeindre la réalité quotidienne de jeunes gens en colère dans n'importe quelle ville européenne, voire nord-américaine. Une colère sourde, canalisée par le prosélytisme d'imams faussement modernes et horriblement manipulateurs, jouant les agents provocateurs pour arriver à leurs fins.

Dans le film de Philippe Faucon, ledit imam se prénomme Djamel. La jeune trentaine, charismatique, éloquent, la voix douce et enjôleuse. Il est d'une dizaine d'années l'aîné d'Ali, Nasser et Nico, fraîchement converti. De jeunes hommes marginalisés, révoltés, qui sont des proies faciles pour sa propagande et ses demi-vérités.

«Il n'y a que lorsque les morts sont des Occidentaux que c'est du terrorisme», leur dit-il, mettant le feu au fioul de leur ressentiment envers l'homme blanc, français, dominant, en les détournant d'un islam paisible et modéré. «L'islam, c'est le respect», rappelle à Ali sa mère, qui porte le voile tout en s'inquiétant du fanatisme soudain de son fils.

Philippe Faucon se nourrit des paradoxes. Sa démonstration des mécanismes de l'endoctrinement est terrifiante, à une époque où bien des gens inspirés par des sources anonymes sur le web succombent aux théories du complot les plus farfelues, en s'imaginant quantité de conspirations politico-médiatiques. Quinze ans plus tard, ils sont toujours nombreux à croire que le 11-Septembre a été planifié par le gouvernement américain...

Le cinéaste met en lumière les frustrations d'une jeunesse exclue, ainsi que la spirale provoquée par ce sentiment de rejet, exacerbé par la propagande islamiste, qui nourrit d'une part le radicalisme et de l'autre l'islamophobie (dont certains au Québec, comme Marine Le Pen de passage chez nous, refusent obstinément de reconnaître l'existence).

Ce cycle destructeur est également au coeur d'une autre oeuvre forte, L'orangeraie de Larry Tremblay, pièce qu'il a lui-même tirée de son roman pour le théâtre et qui sera présentée depuis jeudi au Théâtre Denise-Pelletier, dans une mise en scène de Claude Poissant.

«Dès que tu installes la haine dans le cerveau d'un enfant, que tu le programmes pour haïr, ce n'est plus un enfant», dit l'auteur québécois de cette fable universelle sur l'enfance, d'une poésie fine et subtile, traduite dans une dizaine de langues. Une métaphore percutante sur la guerre, le mensonge et le culte du martyr, à travers l'histoire déchirante de jumeaux de 9 ans au Moyen-Orient, Amed et Aziz, dont l'un sera sacrifié pour venger la mort de ses grands-parents.

L'humiliation, la vengeance: cycle incessant de violence qui a nourri tant d'oeuvres (dont Incendies de Wajdi Mouawad) et provoqué encore davantage de tragédies. Aujourd'hui, on pense inévitablement aux responsables des attentats de Bruxelles et à leurs victimes. À ce qui a pu motiver tant de haine et d'inhumanité, causer tant de douleur. On cherche des réponses où l'on peut, dans l'art aussi, pour tenter de comprendre l'incompréhensible. Et l'injustifiable.

Crédit : Pyramide Distribution.

Film : La désintégration.