À l'époque, on entrait au Palais comme dans un moulin. Il y a 15 ans déjà, je couvrais le Festival de Cannes pour la première fois. Christine Aimé, la responsable du service de presse, m'y a fait penser hier. «Vous venez depuis quand?» C'est une question récurrente à Cannes, où l'on porte sa longévité de festivalier comme un badge d'honneur.

En quittant son bureau, j'ai croisé Danièle Heymann, journaliste émérite, ex du Monde et de L'Express, qui connaît mieux que quiconque le plus grand festival de cinéma de la planète et ses rouages. Elle a consacré un livre (Le roman de Cannes) à cet événement unique qu'elle fréquente depuis presque 60 ans et où elle anime toujours des conférences de presse.

La grande dame de la critique française, qui fut la dernière journaliste membre du jury de la compétition - en 1987, l'année du sacre de Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat -, m'a déjà raconté comment le Festival avait changé de façon draconienne, à la fin des années 90.

Avec l'arrivée des caméras de télévision (en particulier celles de la chaîne Canal +), une nouvelle faune, beaucoup plus dense, a envahi le Festival. Dans les années 60, on ne comptait que quelques centaines de journalistes. Les stars se promenaient librement sur la Croisette, prenaient des bains de foule.

Aujourd'hui, il y a environ 4600 journalistes et photographes accrédités (et plus de 30 000 professionnels du métier: producteurs, distributeurs, etc.). Les vedettes européennes et hollywoodiennes sont terrées dans leurs hôtels cinq étoiles, ne fréquentent que les soirées les plus exclusives, et sont accompagnées en tout temps de leurs gardes du corps.

Il y a 15 ans, disais-je, on entrait au Palais des Festivals comme dans un moulin. C'était bien sûr avant le 11-Septembre. On a par la suite resserré le dispositif de sécurité: on s'est mis à fouiller systématiquement les sacs des festivaliers, à contrôler tout ce beau monde comme jamais, notamment à l'aide de détecteurs de métal.

Cette année, la sécurité a été rehaussée d'un cran. Hier, à la veille de l'ouverture du 68e Festival de Cannes, les portes du Palais avaient des airs de postes de contrôle de sécurité d'aéroport. Des bornes et des cordons avaient été installés là où règne d'ordinaire une anarchie plus ou moins civilisée. Des bouchons et du mécontentement sont à prévoir au cours des prochains jours. Vive la France.

Dans la salle de presse, j'ai aperçu pour la première fois une affiche avertissant les journalistes qu'ils sont sous vidéosurveillance. Cannes au grand complet est sur les dents. C'est palpable. Il faut dire qu'il y a une semaine, la boutique Cartier, l'une des nombreuses marques de luxe du boulevard de la Croisette, a fait les frais d'un vol de bijoux estimé à 17 millions d'euros.

On craint, davantage encore qu'un nouveau braquage, un attentat. Le procureur de la République de Paris, François Molins, a déclaré lundi que «la menace terroriste n'a jamais été aussi importante» qu'en ce moment en France. Ce qui n'est guère rassurant, alors que s'ouvre aujourd'hui l'un des événements les plus médiatisés de l'année.

Avec autant de vedettes et de journalistes réunis pendant deux semaines au même endroit, le Festival de Cannes est certainement une cible de choix pour un coup d'éclat. Dans la foulée des attentats contre Charlie Hebdo en janvier dernier, plus de 300 agents des CRS (Compagnies républicaines de sécurité) ont en conséquence été envoyés à Cannes afin de maintenir l'ordre. Ils se grefferont aux quelque 500 policiers municipaux et nationaux habituellement en exercice pendant le Festival. Et c'est sans compter les gardes de sécurité privée, estimés eux aussi à quelques centaines.

«Nous sommes plusieurs sur place, mais il y a beaucoup de travail», me disaient hier après-midi trois agents de la police nationale, patrouillant à vélo sur le boulevard Carnot, hors du périmètre du Palais.

Rien, comme le veut le cliché, n'a été laissé au hasard. Un nouveau centre de commandement unique a été mis sur pied pour l'ensemble des forces policières, des réunions quotidiennes ont été prévues avec la mairie de Cannes, qui a fait ajouter des caméras de surveillance (on en compte près de 500) partout en ville et en particulier sur la Croisette.

Une zone de sécurité maritime a également été établie - les richissimes pourront faire la fête tranquillement sur les yachts de luxe - et il est formellement interdit de faire voler des drones pendant le Festival. Je n'ai rien lu de ce genre à propos des cerfs-volants.

Ne vous inquiétez pas pour moi, ma trousse d'urgence est prête: le chocolat noir, mon carburant, est au frais. Et sur les conseils de Denise Bombardier, j'ai troqué mon vieil habit bleu fripé pour un complet tout neuf. J'ai toujours le noeud papillon prêté par le beau-frère, mais afin d'avoir l'air moins «provincial», j'ai envoyé trois chemises au pressing (comme dirait Mme B.). Attention les mondains, here I come...