Il connaissait tous les concurrents. Je ne sais trop comment. On n'est pourtant pas des habitués. Congé pascal aidant, on a repoussé l'heure du coucher pour regarder, à sa demande, la demi-finale de La voix.

Je l'avouerai d'emblée: je me suis retenu plusieurs fois de soupirer. Pour ne pas gâcher son plaisir. Je ne m'explique toujours pas, depuis Star Académie, pourquoi des chanteurs à peine sortis de l'adolescence persistent à puiser dans un répertoire convenu destiné à leurs grands-parents. Ginette Reno, Céline Dion, Starmania...

Je me suis retenu de soupirer, donc. Mais j'ai senti mes dents grincer devant la quantité de fausses notes émaillant certaines interprétations. Il faut vraiment être tolérant aux couacs pour écouter cette émission, ai-je pensé.

Cela s'explique, bien sûr: la nervosité qui afflige ces jeunes interprètes doit être énorme. Ils chantent non seulement devant une salle archicomble, mais pour quelque trois millions de téléspectateurs. On se liquéfierait à bien moins.

«Cette chanson-là est difficile à chanter. Ce n'était pas un bon choix pour elle, a tranché Fiston. J'ai aimé l'intensité de sa voix, mais la chanson ne lui convenait pas. On dirait qu'elle se battait avec les notes.»

Alicia chantait Le monde est stone. «Le monde est roche? Moi, je comprends pas les paroles», a admis son petit frère, plus intéressé par la pyrotechnie et les jeux de lumière que par les prouesses vocales des candidats. «Elle non plus, je pense», lui ai-je répondu...

J'ai attendu pendant deux heures que les juges ajoutent des commentaires critiques à ceux de mes enfants. En vain. Je n'ai pas entendu le moindre bémol ni l'ombre d'une réserve de la part des coachs. Qu'un concert lisse d'éloges, d'une complaisance sans nom. Une surenchère sirupeuse de «formidable», «spectaculaire», «extraordinaire», «plus fort que le tonnerre»...

«Ils disent toujours la même chose, les coachs, m'a expliqué Fiston. Il n'y a jamais de mauvais commentaires. C'est comme si c'était pas sincère, leur affaire!» Que dit le dicton déjà, à propos de la vérité et de la bouche des enfants?

Je suis resté sans mots devant cette logorrhée obséquieuse de dithyrambes. «Une voix qui vient du ciel!», a lancé Éric Lapointe. «Comme du velours, comme de la soie», a renchéri Isabelle Boulay. Je n'en croyais pas mes oreilles. À croire qu'ils avaient tous perdu l'ouïe. «J'ai juste envie de te dire des belles choses», a résumé pour les autres Marc Dupré. On avait compris.

Un peu plus et ils demandaient leurs pupilles en mariage ou les embauchaient pour chanter à leurs funérailles. Quand le mot le plus entendu au cours d'une soirée est «bravo» et qu'un quatuor de juges professionnels est moins sévère qu'un élève d'à peine 11 ans, il y a lieu de s'interroger sur notre rapport à la critique. Charles Lafortune n'anime plus La classe de 5e, que je sache.

Est-ce trop demander, dans le cadre d'un concours télévisé, qu'il y ait un minimum de mesure, de nuance et de sens critique de la part d'un jury? Il me semble que personne ne reprocherait à un juge une phrase du type «On sentait ta nervosité au début, mais tu as terminé avec plus d'aplomb», non?

Je n'aime pas les lieux communs, mais j'ai l'impression que ce refus de critiquer - à heure de très grande écoute - en dit long sur notre incapacité à dire les choses franchement. Et sur cette propension bien québécoise à vouloir faire croire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

Ne vous demandez pas pourquoi l'expression «faux fin» est si répandue dans le merveilleux monde du showbiz québécois. Des humoristes en parlaient encore récemment à Tout le monde en parle (mon rendez-vous dominical télévisuel habituel) à propos de René Simard, qui serait a contrario un «vrai fin».

Par opposition à quoi? À quantité de vedettes qui feignent d'être gentilles en toutes circonstances pour s'attirer la sympathie du public, mais n'en pensent pas moins quand le petit voyant rouge de la caméra de télévision s'éteint? À choisir, je préfère un vrai sans-coeur à un faux cul.

Je préfère aussi que des jurés, musiciens d'expérience capables d'identifier facilement une fausse note, ne fassent pas semblant d'être sourds afin de ne pas vexer des concurrents, leurs parents et leurs admirateurs. Par crainte de nuire à leur propre carrière, en s'aliénant une partie du (très grand) public? La voix est bien un concours de chant ou j'en ai raté un bout pendant que je grinçais des dents?

Contrairement à ce que laissent entendre les juges de La voix, tout ne va pas toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tout n'est pas si formi-formi-formi-formi-formidable, comme dirait l'autre. Ce n'est pas grave, certes.

Sinon qu'on fait miroiter à de jeunes artistes qu'une carrière fabuleuse les attend au détour, en sachant pertinemment que c'est faux. Dans dix ans, deux, peut-être trois parmi eux vivront bien de leur art, avec de la chance. Bientôt, tous auront été remplacés par la nouvelle cuvée de La voix. «Tu as été extra-ordi-nai-re!» Maintenant, au suivant!

«Le public a toujours raison», clame Isabelle Boulay dans une publicité de la finale de La voix (qui a fait dire à Fiston que les coachs «surestimaient un peu leur émission»). Pas toujours, non. Dimanche, le vote populaire penchait souvent du côté des fossoyeurs de notes justes et de mélodies agréables. C'en était gênant, comme c'est le cas, du reste, dans bien des remises de prix du public de tout acabit.

Heureusement qu'il y avait les juges, malgré leur complaisance crasse, pour choisir les meilleurs parmi tous ces irréprochables candidats. La quantité de fausses notes devrait en conséquence avoir chuté dramatiquement, lors de la finale. Mes oreilles les en remercient d'avance.

«Les téléspectateurs ne devraient pas avoir le droit de vote. Ça devrait juste être les coachs», a tranché Fiston, après qu'une dénommée Céleste eut obtenu plus de points de la part du public que sa concurrente Rosa. Que dit le dicton déjà, à propos de la pomme et de l'arbre?