Souvent, ce n'est pas ce que l'on dit, mais comment on le dit. L'intention derrière la parole, l'image, le texte. Celle de bousculer les idées reçues, de faire réfléchir, d'orienter le débat, de choquer.

Ce qui choque, en l'occurrence, ce n'est pas tant l'information que son traitement. Love Projet, le plus récent film de Carole Laure, a coûté 2,4 millions et rapporté 8603$ au box-office. C'est peu. Mais c'est davantage que le tiers des longs métrages ayant pris l'affiche au Québec depuis le début de l'année.

Je disais? Ce n'est pas ce que l'on écrit, mais souvent comment on l'écrit. Hier, Le Journal de Montréal a annoncé tout en haut de sa page couverture une nouvelle sur le «mince» résultat du film de Carole Laure aux guichets.

Sous-entendu: ce film que vous n'avez sans doute pas vu a coûté plus de 2 millions de dollars aux contribuables québécois, c'est-à-dire à vous, votre mari, votre mère, votre beau-frère et bien d'autres «cochons payeurs». De la pure démagogie.

Ce n'est pas tant l'information, je le répète. Les temps sont durs pour le cinéma québécois. On ne prétendra pas le contraire. À l'exception notable de deux longs métrages, 1987 de Ricardo Trogi et Mommy de Xavier Dolan - qui s'approche de manière inespérée des 3 millions de recettes aux guichets - , les Québécois ont peu fréquenté leur cinéma cette année.

Dans ce contexte moribond, qui perdure depuis quelques années, le film de Carole Laure ne fait pas figure d'exception. Il représente en quelque sorte la norme. Plus de la moitié des longs métrages québécois ayant pris l'affiche en 2014 n'ont pas attiré davantage que 2000 personnes en salle.

Love Projet n'a tenu l'affiche que deux semaines, sur seulement deux écrans à sa deuxième semaine «d'exploitation», attirant par séance une moyenne de spectateurs qui le classe au 21e rang sur 34 longs métrages québécois, selon les informations colligées par le site Films du Québec, spécialisé dans ce genre de statistiques.

Carole Laure, disposant d'un budget tout à fait dans les normes, a réalisé un film d'auteur que personne ne destinait à un succès populaire. Il n'a - ô surprise! - pas connu de succès populaire. Comme plusieurs films commerciaux aux budgets plus imposants (Le vrai du faux, par exemple), que l'industrie du cinéma québécois espérait voir dynamiser ses parts de marché.

Parce que Carole Laure a attiré avec son film quelques centaines de spectateurs de moins que Whitewash (mettant pourtant en vedette Marc Labrèche) et autant que Bunker (avec Patrice Robitaille), on publie sa photo en une du Journal de Montréal, comme si elle était une fraudeuse coupable d'avoir dilapidé des deniers publics.

Tout est dans la manière. Dans le sens que l'on veut donner aux mots et aux images. Je ne prétends pas que Love Projet est un chef-d'oeuvre, tant s'en faut. C'est un film échevelé, imparfait, voire inachevé, qui propose malgré tout un regard original et met en scène des acteurs bourrés de talent. Je cherche encore le scandale.

Love Projet est une oeuvre qui, malgré ses défauts, mérite à mon sens d'exister. Ce qu'elle ne mérite certainement pas, c'est un traitement médiatique réservé d'ordinaire aux bandits à cravate. Arthur Porter a falsifié son curriculum vitae pour être embauché sur le projet du CUSM. Il est soupçonné de s'en être mis plein les poches. Carole Laure n'a rien volé à personne. Elle a toujours représenté dignement le cinéma québécois, ici et à l'étranger.

Elle fut longtemps l'une des rares têtes d'affiche québécoises à Paris. Elle a prêté son nom, son image, sa passion, à nombre de comités, de festivals, d'événements, d'abord comme actrice, puis comme réalisatrice. Plusieurs de ses films ont été sélectionnés au Festival de Cannes, où elle a présidé des jurys et présenté des prix prestigieux. Elle est une précieuse ambassadrice du cinéma québécois.

Je ne dis pas qu'il faille, en raison de ses états de service, financer ses films sans plus de formalités. Je ne dis pas non plus que l'on devrait s'abstenir de remettre en question la manière dont on distribue les fonds, les critères d'attribution des subventions, l'évaluation des projets par les institutions.

Je dis que lorsque l'on a collectivement accepté de soutenir des créateurs, on ne devrait pas les traiter comme des voleurs parce qu'ils n'ont pas atteint des objectifs de rendement qui n'ont rien à voir avec l'art. C'est absurde. Devrait-on évaluer la qualité d'un tableau de Riopelle au nombre de visiteurs qu'il attire dans un musée?

Je dis qu'on devrait cesser de laisser entendre que les contribuables «n'en ont pas pour leur argent» quand un film, un disque, une pièce de théâtre, voire une émission de télé, objets culturels forcément subventionnés sur un territoire au bassin de population aussi restreint que le nôtre, n'attirent pas les foules.

Je dis qu'on ne peut tenir les artistes à une obligation de résultat. Parce que ce ne sont pas des vendeurs de voitures d'occasion payés à la commission. Parce qu'ils nous enrichissent d'une manière qui ne se quantifie pas. On se plaint partout ces temps-ci du cynisme dont souffre la classe politique. Que dire des artistes...