Ils sont fous, ces Français! comme dirait Obélix. Pendant que certains s'excitent le poil des jambes à l'idée saugrenue de l'égalité de tous devant le mariage, d'autres s'attaquent aux oeuvres d'art subversives et à leurs créateurs.

La dernière cible des puritains hexagonaux? Une oeuvre satirique en forme de menhir ou de sapin géant (c'est selon), baptisée Tree. Ben oui. Inspirée par le travail du grand sculpteur roumain Constantin Brancusi, cette structure conique de 24 mètres de hauteur est signée Paul McCarthy. Non, pas le chanteur de Liverpool; le sculpteur de Los Angeles.

«Une honte pour la France», «une humiliation pour Paris», se sont exclamés, certains, scandalisés - notamment sur les réseaux sociaux -, en découvrant cet objet gonflable jeudi, en plein coeur de la chic place Vendôme (qui abrite notamment le ministère de la Justice, le Ritz ainsi que quantité de boutiques de luxe).

Pourquoi un arbre de Noël synthétique suscite-t-il autant d'émoi? Parce que, pour l'oeil chrétien averti, il n'évoque pas tant l'Immaculée Conception qu'un jouet sexuel communément appelé «butt plug» - ou «plug anal» en bon français -, dont vous trouverez tous les usages possibles et imaginables sur Google.

Le «plug gate», comme on a surnommé cette affaire outre-Atlantique, offre bien sûr matière à dilater la rate, à défaut d'autre chose (s'cusez-la). Mais ce n'est pas parce qu'on rit que c'est drôle.

Paul McCarthy, 69 ans, a été giflé trois fois vendredi en pleine rue, le lendemain de l'érection de son oeuvre, vandalisée la nuit suivante. La structure, qui n'aura trôné que trois jours place Vendôme, a été dégonflée samedi soir par l'artiste et son équipe. En alimentant davantage la controverse.

Médias et blogueurs français s'en donnaient encore à coeur joie hier, débattant de la sempiternelle question de la limite de la liberté artistique et de l'à-propos de la présence d'une oeuvre d'art représentant un symbole phallique dans une ville qui n'est pourtant pas en reste de monuments perçus comme tels. La colonne Vendôme, avec sa statue de Napoléon, occupe d'ailleurs le centre de la place du même nom. Les freudiens en ont pour leur argent dans la Ville Lumière.

Devant le tollé soulevé par Tree, Paul McCarthy a décidé de ne pas insister. Il ira voir ailleurs s'il s'y trouve. Le surréaliste américain n'en est pas à ses premières frasques du genre. Il avait réalisé il y a quelques années une installation mécanique montrant le président George W. Bush copulant avec des cochons.

McCarthy a déjà dépeint une Belle au bois dormant, version Disney, dans des positions aussi suggestives que compromettantes. Et lorsqu'il ne fait pas dans la connotation sexuelle, suggérée ou explicite, il s'adonne au scatologique (des étrons gonflables installés sur une pelouse ont fait réagir bien avant le plug anal parisien). Disons que ce provocateur-né a de la suite dans les idées.

Qu'importe pourtant ce que l'on pense de l'artiste et de son oeuvre. Qu'importe même que McCarthy soit fâché ou pas par la tournure des événements (quel coup publicitaire, volontaire ou involontaire, tout de même!). Tree a été commandée par la Foire internationale d'art contemporain (FIAC), une exposition parisienne annuelle, et érigée place Vendôme avec l'aval des autorités compétentes. Cette oeuvre a le droit d'exister et d'être vue.

Ce n'est pas ce que croit une certaine droite française dont on entend décidément de plus en plus parler. Le «plug gate» a d'ailleurs été récupéré par les membres de la «Manif pour tous», mélange de réactionnaires, de militants chrétiens et de traditionalistes de tous horizons, unis d'abord dans leur opposition au mariage gai, puis dans leur défense des valeurs conservatrices.

Leur discours trouve un tel écho en France que certains récents sondages prédisent même une victoire à Marine Le Pen, présidente du Front national, à l'élection présidentielle de 2017. Il ne faudrait pas croire pour autant que ce puritanisme nouveau genre et l'hypocrisie qui l'accompagne - comment tous ces conservateurs savent-ils ce qu'est un «butt plug»? - sont exclusivement français.

Un nouvel ouvrage collectif a beau s'intéresser au legs de l'émission de films érotiques Bleu nuit à TQS - qui a notamment contribué à me faire découvrir le cinéma de Maurice Pialat à l'adolescence -, le Québec ne donne pas sa place, ces jours-ci, en matière de comportements réactionnaires et moralisateurs.

Vendredi, on apprenait que le très sélect Collège Jean-de-Brébeuf avait congédié une prof de théâtre de 73 ans pour le seul motif qu'elle avait joué, il y a plus de 40 ans, dans des «films de fesses» européens aux noms aussi poétiques que Le journal intime d'une nymphomane ou Le plumard en folie. Du «soft porn» comme il s'en faisait aussi au Québec à l'époque, mille fois moins explicite que ce à quoi ont accès les adolescents d'aujourd'hui en un clic de souris.

Je n'ose imaginer ce qu'aurait fait la direction de Brébeuf si elle avait appris qu'un de ses professeurs avait fumé un joint ou s'était livré à des actes homosexuels dans les années 60 (un comportement illégal à l'époque). On se croirait au Vatican. Avant Vatican II. Et l'on prétend que la Grande Noirceur est depuis longtemps révolue...