C'est un film hors du temps, ni d'hier ni tout à fait d'aujourd'hui, qui renvoie à une époque bien précise. Tu dors Nicole du Québécois Stéphane Lafleur a été accueilli très chaleureusement hier par le public de la Quinzaine des réalisateurs, où il était présenté en première mondiale dans le cadre du Festival de Cannes.

Le troisième long métrage de Stéphane Lafleur est fait du même humour fin, des mêmes images oniriques que ses films précédents Continental, un film sans fusil et En terrains connus. On y retrouve toujours ce sens aigu de l'observation, dans une ambiance de spleen atmosphérique, avec plus de tendresse et de nostalgie.

Tu dors Nicole, campé dans une ville de banlieue anonyme à une époque imprécise, voire improbable, m'a rappelé l'été de mes 19 ans. Un band installé dans le salon de la maison de banlieue de mes parents, partis en vacances. Du temps passé soudés entre amis, en buvant de la bière dans le jardin. De longues heures de farniente après le job d'été, à jouer au mini-putt ou à manger des sundae à la crèmerie du coin.

«C'est un film qui est moins autobiographique qu'on pourrait le penser, dit le cinéaste, rencontré après la première projection de son film. La nostalgie est un sentiment que je n'aime pas beaucoup. Mais j'ai décidé de l'assumer, de chercher cette émotion et d'essayer d'en saisir l'essence pour que le film soit intemporel.»

«J'ai voulu représenter l'été quand on a le début de la vingtaine, pour à peu près tout le monde», a-t-il ajouté.

C'est très réussi. Lafleur capte parfaitement cet état d'esprit à travers le personnage de Nicole (Julianne Côté), qui passe l'été à la maison, à égrener le temps, pendant que ses parents sont absents, en compagnie de sa meilleure amie (Catherine Saint-Laurent), de son frère musicien (Marc-André Grondin) et de ses copains (Francis La Haye et Simon Larouche).

«Est-ce qu'on s'ennuie vraiment autant de l'autre côté de l'océan?», a demandé un spectateur français au cinéaste, au terme de la projection publique. «C'est une question récurrente à la fin de tous mes films!», a répondu Stéphane Lafleur du tac au tac, avec son humour pince-sans-rire typique.

Après avoir diagnostiqué le couple dans la trentaine à la croisée des chemins dans ses deux premiers films, Lafleur avait envie de s'intéresser à la vie de ceux qui ont 20 ans. «Je vieillis, et plus vite que moins, dit-il. Je ne voulais pas faire le portrait de jeunes femmes de 20 ans en 2014. Ç'aurait été erroné. J'espère que mon film est plus universel.» (On prend des notes à la maison...)

Tu dors Nicole a beau être intemporel, sa direction artistique rappelle inévitablement les années 80 - avec quelques anachronismes volontaires -, l'époque où Stéphane Lafleur, 37 ans, a grandi à Saint-Jérôme. Une banlieue banale, générique, qui est le terreau de prédilection de ses films. «On m'a souvent reproché de juger la vie de banlieue dans mon cinéma alors que j'ai seulement l'impression de l'observer. Je voulais que ce soit très clair cette fois-ci», dit-il.

Moins ironique que ses films précédents, Tu dors Nicole est une oeuvre sensible, ponctuée de subtiles touches d'humour, qui apparaissent comme des saynètes de la vie quotidienne. Celle de Nicole, jeune adulte blasée, jouée avec beaucoup de justesse par Julianne Côté, que l'on a vue entre autres dans Le ring d'Anaïs Barbeau-Lavalette et à la télévision dans En thérapie.

Au départ, Lafleur avait en tête de faire appel à des acteurs non professionnels. Il était très important pour lui que le groupe de musique autour duquel s'articule l'intrigue soit crédible, avec des musiciens chevronnés. «Mais aux auditions, j'ai compris que ce n'était pas le cinéma que je voulais faire», dit le cinéaste, qui est aussi musicien et chanteur de l'excellent groupe folk Avec pas d'casque.

Lafleur a donc fait appel à Marc-André Grondin, acteur et batteur de talent... pour un rôle de guitariste. «Mon instrument de prédilection est la batterie, dit le comédien, bizarrement plus en demande en ce moment au cinéma français que québécois. J'ai d'ailleurs coaché Francis [La Haye] pour les scènes enregistrées live. Pour la guitare, c'est moins facile pour moi. J'ai dû m'y remettre. Je n'en avais pas joué depuis le tournage de Bus Palladium [film français tourné en 2009].»

Grondin joue par ailleurs la batterie sur quelques pièces de rock instrumental de la trame sonore, centrale et omniprésente, composée par Rémy Nadeau-Aubin (Jacquemort, ex-Malajube et The Hot Springs) et Organ Mood. «Je voulais que le band, que l'on ne voit jamais en spectacle ou avec ses fans, joue une musique instrumentale mordante mais mélodique, que l'on pouvait facilement aimer.»

Tu dors Nicole, tourné en noir et blanc, rappelle par certains aspects le cinéma d'Aki Kaurismäki, à qui Lafleur a parfois été comparé, et de Jim Jarmusch, quelques-uns des plus illustres «anciens» de la Quinzaine des réalisateurs. «Quand on a décidé de tourner en noir et blanc, Sara Mishara [la directrice photo] et moi, j'ai tout de suite pensé aux premiers films de Jim Jarmusch, dit le cinéaste. À Stranger Than Paradise en particulier.»

Son film a des airs de rêve énigmatique évoquant une époque révolue. Des personnages surgissent à gauche et à droite, pour aussitôt disparaître. Des vignettes absurdes font sourire. Des images fortes, prégnantes, ponctuent ce film langoureux, au charme indolent. «Le droit à l'imaginaire, à la folie, à la poésie, est important pour moi», dit Stéphane Lafleur. C'est très clair. Et c'est très bien ainsi.