Le plus inquiétant, ce ne sont pas les nouvelles coupes budgétaires infligées à Radio-Canada par le gouvernement conservateur. Le plus inquiétant, c'est que cette fragilisation constante du service public par nos dirigeants politiques ne suscite pas davantage d'indignation.

La direction de Radio-Canada a annoncé récemment une troisième vague de compressions en cinq ans: 130 millions de dollars et 657 emplois dans les services français et anglais. Il y a de moins en moins d'argent dans les coffres de Radio-Canada. Et ce n'est pas seulement une question de baisse de revenus publicitaires et de perte de la diffusion des matches des Maple Leafs à la CBC.

Il y a moins d'argent à Radio-Canada parce que chaque Canadien donne de moins en moins d'argent à la société d'État. En dollars constants, le budget alloué à Radio-Canada par le gouvernement fédéral a chuté de presque la moitié depuis 25 ans. Chaque Canadien apporte en moyenne une contribution de 29$ à Radio-Canada, l'une des télévisions publiques les moins subventionnées dans le monde occidental.

Le Canada est pratiquement dernier de classe pour son soutien à sa télévision publique, surpassé seulement par les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, selon les plus récentes études. La BBC, souvent citée en exemple, reçoit environ 110$ de chaque Britannique et la télévision publique norvégienne, quelque 165$ (la moyenne des pays occidentaux se situant autour de 85$).

Il n'y a pas d'argent pour Radio-Canada, dit Ottawa. Combien d'argent a été dépensé par le gouvernement Harper dans la commémoration du bicentenaire de la guerre de 1812? Plus de 70 millions, alors que l'on avait prévu initialement y investir le tiers de cette somme. Il ne s'agit que de la première de nombreuses commémorations militaires canadiennes prévues d'ici 2020.

Bref, on a de l'argent quand on décide qu'on a de l'argent. Et on a décidé qu'on n'avait pas d'argent pour Radio-Canada. Je l'ai déjà écrit, je le répète: on ne supprime pas des centaines de postes en cinq ans dans un service d'information sans atteindre à la qualité de cette information. Et on ne prive pas de dizaines de millions une programmation générale sans que les émissions qui sont diffusées s'en ressentent.

Le gouvernement Harper n'en a cure. Le ministère du Patrimoine canadien conseille ces jours-ci à Radio-Canada, particulièrement à son réseau anglais, de «donner aux gens ce qu'ils ont envie de voir» s'il veut être plus rentable. Plus de concours de chant et de patinage artistique amateurs sont à prévoir...

Les nouvelles coupes, loin de susciter l'indignation, ont été accueillies dans l'indifférence quasi générale. Le diffuseur public est saigné sous nos yeux et on le laisse mourir à petit feu, sans s'en formaliser. Comme si maintenir une programmation télévisée et radiophonique de qualité, et une information nationale et internationale digne de ce nom, n'avait pas la moindre importance.

Certains se réjouissent même de voir l'institution progressivement démembrée. On ne prétendra pas que tout est rose à Radio-Canada. Qu'il n'y a pas des incongruités, des lourdeurs administratives et bureaucratiques, des sommes bizarrement allouées à gauche alors qu'il y a plutôt des besoins criants à droite. L'appareil est lourd, ne s'est pas toujours bien adapté aux réalités du jour.

Il reste que l'on a suffisamment coupé dans le gras depuis cinq ans pour atteindre le muscle, et bientôt des organes vitaux. Et que souhaiter la mort du service public tel qu'on le connaît, c'est souhaiter collectivement son propre déclin, dans l'inculture et l'ignorance. Si c'est ce qu'on se souhaite...

Non, les coupes et les emplois perdus à Radio-Canada ne peuvent être comparés à des compressions dans une usine de chaussures. Maintenir une télévision et une radio publiques de qualité est un choix de société. Le choix d'assurer gratuitement à tous une programmation de qualité. Celui d'être informé correctement de ce qui se passe ici et dans le monde.

Le Québec s'intéresse déjà assez peu à ce qui se déroule hors de ses frontières; je n'ose imaginer ce que ce serait sans le réseau de correspondants à l'étranger de Radio-Canada. Un réseau que ne peut soutenir financièrement aucune organisation médiatique privée au Québec.

C'est un service essentiel qui est menacé par les nouvelles coupes d'Ottawa. J'oserais dire au même titre que le système de santé ou d'éducation. Le gouvernement conservateur gère ce service public comme une entreprise privée. Et le diffuseur public le lui rend bien, donnant de plus en plus l'impression de se prendre pour un diffuseur privé.

Chacun y va ces jours-ci de ses conseils pour Radio-Canada. Je me contenterai d'un seul: il faut que Radio-Canada abandonne sa course ridicule aux cotes d'écoute. Que la télévision publique laisse la télévision privée faire ce qu'elle fait de mieux, et se concentre sur ce qui fait sa force et son essence. En respectant son mandat «d'informer, éclairer et divertir». Il n'y a pas l'ombre d'un magazine culturel généraliste à la télévision de Radio-Canada...

On a le diffuseur public que l'on mérite. Si les mots qui résument le mieux notre défense de son intégrité sont indifférence, résignation et apathie, il n'y a pas que le gouvernement Harper à blâmer pour sa lente agonie.