En 2006, il est devenu le premier cinéaste à représenter les «Territoires palestiniens» à la soirée des Oscars. Dans une quinzaine, il sera le premier à y concourir sous la bannière de la Palestine - l'Académie des arts et des sciences du cinéma ayant, après débat, adopté le terme.

«La Palestine n'est pas encore un pays, mais c'est une nation qui se bat pour l'égalité, la liberté et la justice. La représenter est pour moi un honneur», dit Hany Abu-Assad, un Palestinien élevé dans la ville arabo-israélienne de Nazareth et dont le plus récent film, Omar, prend l'affiche vendredi.

Hany Abu-Assad s'est fait connaître à l'échelle internationale en 2005 grâce à Paradise Now, film poignant sur deux amis d'enfance palestiniens choisis pour commettre un attentat suicide à Tel-Aviv. Finaliste à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, il avait valu au cinéaste de 52 ans le Golden Globe du meilleur film étranger en 2006.

Omar, Prix du jury du dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard, creuse le même sillon de l'abus de pouvoir, de l'humiliation et de l'oppression, menant inévitablement à la rébellion. Hany Abu-Assad y met de nouveau en scène des amis d'enfance qui improvisent un commando rebelle contre l'armée israélienne. Et qui auront à choisir entre fidélité (à la nation, aux idéaux, aux amis) et liberté.

«C'est probablement inconscient», répond le cinéaste lorsque je lui fais remarquer que les personnages de ses deux films font face à des choix éthiques déchirants. « Comme dans les films de Michael Mann, dont je suis un admirateur, rien n'est tout blanc ou tout noir, tout bon ou tout mauvais. Mes personnages tentent de trouver un équilibre en faisant des choix qu'ils reportent le plus tard possible. Mais à la fin, ils doivent choisir quelle est leur identité.»

La référence à Michael Mann n'est pas fortuite. Omar est à la fois un film d'auteur et un film de genre, qui emprunte à dessein à l'efficacité des thrillers américains, à l'esthétique des thrillers français et à l'humour des thrillers égyptiens.

Omar (Adam Bakri, excellent), un jeune boulanger, traverse quotidiennement le mur de sécurité séparant Israël des territoires occupés, au péril de sa vie. C'est pour y rejoindre ses amis Amjad et Tarek, et surtout la soeur de ce dernier, Nadia, dont il est amoureux. Lorsque l'opération prévue par le trio contre une caserne de soldats tourne mal, Omar est capturé et torturé. Menacé de 90 ans d'emprisonnement pour activités séditieuses, il doit faire un choix: mourir à petit feu ou trahir ses amis...

Grâce à un budget de deux millions de dollars récoltés par la diaspora palestinienne, Omar a pu être tourné à Nazareth, en Israël, et à Naplouse, en Cisjordanie, où le cinéaste avait juré de ne plus travailler après le tournage, extrêmement difficile et périlleux, de Paradise Now, interrompu par des tirs de missiles et l'enlèvement de l'un des membres de l'équipe de production.

«Il y avait beaucoup moins de tensions cette fois-ci qu'en 2004, après l'intifada. Je n'avais pas remis les pieds à Naplouse pendant deux ans, et quand j'y suis allé, pour voir des amis, j'ai fait une crise d'angoisse terrible. Mais je me suis convaincu qu'il fallait que j'exorcise cette peur. Le tournage m'a permis de me remettre de mon traumatisme.»

Récit poignant, efficace et captivant, Omar se retrouve en très bonne compagnie dans la course à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, aux côtés notamment de La grande bellezza de l'Italien Paolo Sorrentino, de L'image manquante du Franco-Cambodgien Rithy Panh, et de La chasse du Danois Thomas Vinterberg.

«Thomas Vinterberg était le président du jury d'Un certain regard au Festival de Cannes, en mai, rappelle Hany Abu-Assad. C'est lui qui nous a remis nos prix, à Rithy Panh et moi. Je l'ai croisé à Los Angeles, cette semaine, lors d'un dîner des sélectionnés, et il m'a dit: "Qu'ai-je fait? J'ai donné des prix à ceux qui sont désormais mes concurrents!" Nous avons bien ri!»

Le cinéaste palestinien, en repérage à Vancouver cette semaine pour un possible tournage de film américain, ne se fait pas trop d'illusions et ne s'attend pas à recevoir l'Oscar du meilleur film étranger le 3 mars (qui, prédit-il, échoira à La chasse de Vinterberg). La plupart des observateurs donnent La grande bellezza de Paolo Sorrentino favori.

«Je serais très fier de recevoir un Oscar, bien sûr, dit-il. Mais pour être bien franc, je suis plus un fan du Festival de Cannes. C'est l'événement par excellence pour célébrer le cinéma. On s'y concentre davantage sur les films que sur le glamour, les vedettes et le reste. Être à Cannes et aux Oscars avec mon film reste un grand honneur.»

Hany Abu-Assad, qui a vécu plusieurs années aux Pays-Bas, ne désespère pas de voir un jour la Palestine libérée du joug israélien et reconnue à part entière comme un État par la communauté internationale. Les récents efforts du secrétaire d'État américain John Kerry à l'appui du processus de paix sont à son avis fort encourageants. «Je suis un optimiste de nature, dit-il. J'ai de l'espoir comme tout le monde. Je ne suis pas à la table de négociations, mais j'espère qu'une véritable paix est possible, assortie de liberté et de droits égaux pour tous.»

Le cinéaste n'est pas pour autant fleur bleue ni idéaliste. Il n'y a qu'à entendre son discours sur l'appui indéfectible et sans nuance du gouvernement canadien à Israël pour s'en convaincre.

«J'ai entendu les prises de position de votre premier ministre, dit-il. Certains politiciens deviennent des clowns lorsqu'ils sont au pouvoir. Ils ont des programmes mystérieux. Je constate comment ils bafouent la justice sociale, l'environnement. Pourquoi je les prendrais au sérieux? Ils savent surtout distraire la majorité des véritables enjeux. La politique est une chose complexe et compliquée qui exige du jugement, des connaissances, du discernement. Nos politiciens sont élus comme des candidats d'American Idol. Au final, c'est le meilleur clown qui est choisi pour diriger le pays.»

Cela a le mérite d'être clair.