Il s'appelle Samir Tahar. Jeune Parisien des banlieues, d'origine maghrébine. D'un milieu modeste: père disparu du portrait, mère femme de ménage. Lui: brillant, ambitieux, enjôleur, charismatique.

Il termine premier de sa promotion ou presque à la faculté de droit. Pendant que des camarades de classe moins doués sont embauchés dans des bureaux d'avocats, il espère en vain une première entrevue, malgré une cinquantaine de CV envoyés.

Pendant des mois, il essuie les refus successifs. Jusqu'à ce qu'un ami lui suggère d'envoyer ses lettres d'intention sous le prénom de Sam. Il est aussitôt convoqué par deux cabinets, puis embauché par un certain Pierre Lévy qui lui pose une question qui change son existence: «Sam, c'est bien pour Samuel?»

Quinze ans plus tard, Samuel Tahar est un avocat bien en vue à New York, marié à la fille d'un industriel juif parmi les hommes les plus riches des États-Unis. Golden boy de 40 ans qui roule sur l'or et en voiture de luxe, et a le monde - ainsi que des dizaines de femmes - à ses pieds.

Tahar défend la veuve et l'orphelin et devient la coqueluche des médias, cependant qu'il trompe sa femme à répétition dans une garçonnière, sans s'embarrasser de scrupules sur l'âge de ses conquêtes. Une existence, en somme, qui n'est que tissu de mensonges.

Le passé de Samuel-Samir le rattrape inévitablement. Sous forme de vindicte du rival du triangle amoureux de ses 20 ans: le «vrai» Samuel, écrivain raté auquel Tahar a usurpé non seulement l'identité et la religion, mais aussi l'histoire. Parents morts dans un accident de voiture, enfance dans l'orthodoxie juive, etc.

L'invention de nos vies de Karine Tuil (Grasset), en lice pour plusieurs prix à l'automne (il fut du dernier carré d'as du Goncourt), est un roman fascinant, sur l'identité, l'humiliation et la duperie, qui m'a rappelé à certains égards La tache de Philip Roth.

Un roman ambitieux qui s'intéresse aussi, avec une acuité psychologique hors du commun, à la dictature des conventions sociales, à l'ambition, à la trahison, au sentiment d'impunité, aux conflits éthiques et moraux. À tout ce qui accompagne le désir de succès et de maintien dans l'échelle sociale. «Le succès justifie tout et n'explique rien», disait le comédien Louis Jouvet.

Le roman puissant, crédible et lucide de Karine Tuil m'a d'abord décontenancé par sa langue singulière, son usage parcimonieux de ponctuation et sa succession en grappes de synonymes. Mais j'ai rapidement été conquis par le souffle et le style effréné de cette écrivaine française de 41 ans, qui s'accorde avec la vie d'un homme qui veut tout avoir, tout consommer, et à toute vitesse, en faisant table rase de son passé.

Son roman n'est pas sans sources d'irritants: un demi-frère radicalisé qui s'égare pendant de trop nombreuses pages dans un camp terroriste islamique, une histoire d'amour subitement interrompue par les présomptions les plus improbables, un glissement un peu trop appuyé vers le thriller.

Mais L'invention de nos vies, qui fait écho à la paranoïa post-11-Septembre en explorant de multiples zones d'ombre - rien ni personne ne s'y révèle tout noir ou tout blanc -, reste un récit particulièrement vif, brillant, captivant. Un roman à la fois fort et subtil, qui nous renvoie à nos propres préjugés, à nos propres convictions, à nos propres débats insolubles sur l'identité. Et à toutes ces nuances de gris dont nous préférons parfois faire fi.

Le prix du livre

Au Salon du livre, mon p'tit loup, qui sait lire depuis à peine un an, était tout excité. Il traînait dans ses poches un billet de 20$ tout neuf pour s'acheter un livre.

Il sait lire. Il sait aussi compter. Il n'avait malheureusement pas assez de sous pour la peluche de Frisson l'écureuil. Mais juste assez, croyait-il, pour deux livres illustrés: Frisson l'écureuil en camping et Les aventures de Cosmo, le dodo de l'espace (dédicacé).

Onze dollars pour le premier, neuf pour le second: ses calculs semblaient exacts. Sauf qu'il avait oublié la taxe. En voyant le total sur la caisse-enregistreuse, il a fait une de ses fameuses moues. Il était convaincu d'avoir bien additionné les deux montants.

Il ne comprenait pas comment, pourquoi, ni de quel droit cette «taxe» dont lui parlait la caissière pouvait l'empêcher de rentrer à la maison avec les deux livres qu'il avait choisis.

Son ami Jacob, astucieux et pragmatique, n'a fait ni une ni deux: «T'as juste à pas prendre la taxe!» qu'il lui a dit. Logique implacable! Pas pour la caissière.

C'est finalement la mère de Jacob, leur accompagnatrice, qui a allongé les dollars manquants à mon fils. En ne réussissant pas, malgré ses efforts, à faire comprendre à ces deux beaux garçons de 7 ans ce qu'est une taxe. Et surtout, ce qu'elle peut bien venir faire dans les aventures de Frisson l'écureuil.

La taxe sur le livre (la TPS) ne disparaîtra pas de sitôt. Mais grâce au gouvernement Marois, on sera bientôt mieux fixés de façon générale sur le prix du livre. Les mesures annoncées cette semaine par le ministre Maka Kotto, et réclamées depuis longtemps par le milieu du livre, n'ont rien d'une panacée. Mais elles devraient permettre à quelques librairies indépendantes de survivre, au moins pour l'instant.

L'interdiction pendant neuf mois de permettre à un détaillant un rabais de plus de 10% sur les nouveaux titres est à mon sens une très bonne nouvelle. Surtout que les premiers signes venant de Québec portaient à croire que le gouvernement rejetterait la proposition du prix unique.

Si cette mesure devient effectivement loi, elle permettra un meilleur équilibre entre les librairies indépendantes et les grandes surfaces, en diminuant les risques de concurrence déloyale. Tout en permettant au milieu du livre de souffler un peu en anticipant la suite.