C'est un gros colon. Un «douchebag», comme ils disent à Occupation double, tatouages tribaux en prime. Un mollasson d'une vulgarité sans nom, qui sacre aux trois mots. Un ignorant qui débite quantité d'énormités: sur les femmes, les homosexuels, les immigrants, les handicapés, les gros, les «personnes de petite taille»...

«Y est comme moé/Y a appris à dire Nèg avant Nouère/Mais j'ai changé/J'ai évolué/Parce que j'me sus ben rendu compte itou/Que si j'avais envie d'être racisse/J'étais ben mieux de l'être sués islam que sués Nouères/Ça a ben plus de sens.»

Si l'humour est un art, l'ironie en est la forme la plus subtile. Il faut beaucoup de doigté pour faire comprendre en un clin d'oeil, un sourire, une tournure de phrase, voire un signe de ponctuation, que l'on exprime le contraire de sa pensée.

Tout est dans la manière de dire, d'écrire, de livrer son message. Pour qu'existe cette entente implicite avec le destinataire. Afin qu'il soit clair que l'on condamne les idées et les préjugés que l'on semble endosser (au premier degré).

L'ironie ne peut exister que dans la subtilité. Celui qui en fait bon usage doit égrener les indices, définir un contexte. C'est plus compliqué qu'il n'y semble. Certains n'ont pas ce talent, cette finesse d'esprit. Plusieurs s'y sont cassé les dents. On en connaît...

Le second degré n'en est pas moins devenu un prétexte pour tous les dérapages et toutes les inepties d'humoristes sans discernement. «T'as pas compris mon gag? C'est que t'es pas assez brillant pour en saisir les délicates nuances de dérision et de sarcasme.» L'humoriste qui sert celle-là à ses détracteurs n'a généralement pas de meilleure blague dans son répertoire.

Je suis allé voir Fabien Cloutier, vendredi soir à La Licorne. Le comédien, auteur et metteur en scène a passé trois heures, seul sur scène, à interpréter en rafale deux de ses contes de la vie ordinaire.

Dans Scotstown et dans Cranbourne, en reprise jusqu'au 13 décembre, son personnage du «chum à Chabot», ce gros colon dont je parlais en début de chronique, n'en finit plus d'étaler ses préjugés. Contre les Montréalais, contre ses concitoyens beaucerons, contre les étrangers, contre les femmes «de taille forte», contre à peu près tout le monde.

«On est dans un p'tit bar/Sua rue Sainte-Catherine/Le waiteur s'appelle Mohamed/Pis on boé d'la sangria/Déjà/C'est exotique en tabarnac/On est heureux/Mohamed a beau sentir la swompe/Mais y fait des crisses de bons shooteurs.»

C'est le «chum à Chabot», jamais nommé du reste, qui parle (dans Scotstown, créée en 2009). Et c'est dans la suite de ses aventures, Cranbourne (2011), que l'on retrouve le monologue hilarant sur les Noirs et les «islam», dont j'ai cité un extrait plut haut. J'en ai presque pleuré de rire tellement la livraison de Cloutier est efficace.

À travers son personnage d'intolérant un peu simplet - mais à la fois, paradoxalement, sensible et attachant - , Fabien Cloutier distille un humour décapant et corrosif qui en dit (malheureusement) beaucoup sur la société dans laquelle on vit. Le racisme et le sexisme ordinaires, l'homophobie largement répandue, la crainte de ce qui nous est inconnu.

Son diptyque du «chum à Chabot» s'apparente à une version hardcore des spectacles de Fred Pellerin ou au pendant trash du Chant de meu de Robin Aubert, présenté récemment au Prospero. On n'y retrouve ni la poésie bon enfant de Pellerin, ni le romantisme rêche d'Aubert, des auteurs de grand talent eux aussi, qui ont plutôt tendance à magnifier la campagne et ses habitants.

Cloutier, en revanche, est sans merci pour les jeunes gens des régions qu'il décrit. Des hommes blancs en colère qui écoutent du vieux Ozzy dans des Econoline décorées d'images de flammes et de femmes nues, qui font du «quatre roues» pour tuer le temps, quand ils ne sont pas saouls ou gelés ou morts avant de fêter leurs 30 ans.

Ses oeuvres - je n'ai pas encore vu sa pièce Billy (les jours de hurlement) - ont le potentiel de vexer beaucoup plus de Beaucerons (Cloutier est lui-même originaire de la Beauce et habite Québec) que de Montréalais, de Noirs, de gais ou d'immigrés.

J'ai découvert Fabien Cloutier à l'excellente émission littéraire de Marie-Louise Arsenault, Plus on est de fous, plus on lit! à la radio de Radio-Canada. Il y tient une chronique régulière où il déconstruit des proverbes («A beau mentir qui vient de loin», «On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre», etc.) en multipliant les apartés et les digressions sur l'actualité et la culture populaire.

Sans complaisance, il s'attaque à loisir à la fameuse «clique» du Plateau, aux lubies des médias, à quelques «intouchables» du showbiz québécois. Avec une intelligence, une audace et un esprit que certains humoristes autoproclamés ne peuvent que lui envier. On ne donnera pas de noms. Ils se reconnaîtront.

Ces humoristes se réclament à grands cris de ce second degré dont ils ne saisissent pas les subtilités. Eux aussi font des blagues de mauvais goût sur les femmes, les homosexuels, les Arabes, avec un langage ordurier, sans craindre les envolées scatologiques (Cranbourne, comment dire, ne plairait pas à ma mère).

Sauf qu'ils ne parviennent pas à s'élever au-dessus de leur personnage. À transcender sa vulgarité. Peut-être parce qu'ils ne font qu'un avec lui. Au premier degré. C'est bien là leur drame.