On le répète sans cesse: le cinéma est à l'agonie. On l'a déclaré mort si souvent depuis 10 ans que c'en est devenu un lieu commun.

«Le cinéma est mort, vive la télévision!», clame-t-on à gauche et à droite. La télévision des grandes séries de qualité que produisent aux États-Unis HBO et autres AMC (Breaking Bad, Mad Men, Girls), ou encore Netflix (House of Cards, Orange Is the New Black), fait de l'ombre au cinéma.

Le milieu du cinéma américain, en particulier ses scénaristes, migre depuis des années du grand au petit écran, où les possibilités d'exprimer des idées originales et novatrices sont plus grandes, où la liberté de création foisonne, où le talent est mieux reconnu et l'audace, autrement plus encouragée.

Les scénaristes préfèrent de loin développer des intrigues, approfondir des personnages et exprimer leurs idées sur plusieurs épisodes, voire plusieurs saisons, que de les voir mourir pratiquement dans l'oeuf.

Dans le cinéma hollywoodien, on le sait, l'exigence d'un premier week-end «performant» est une menace qui plane sur les artisans comme une épée de Damoclès. Dans un contexte économique plus difficile, elle rend le cinéma hollywoodien de plus en plus conforme et conventionnel, prisonnier du carcan de formules répétées ad nauseam.

Le Montréalais Ken Scott l'a appris à ses dépens. Son «remake» américain de Starbuck, Delivery Man, en tout point conforme à l'original, a été terrassé au box-office par le deuxième épisode de la série des Hunger Games il y a une semaine. Déclaré mort-né deux jours après avoir pris l'affiche, en raison de ses maigres 8,2 millions amassés aux guichets à son premier week-end. Le cinéma hollywoodien est un univers sans merci.

La dernière saison estivale a été particulièrement morose pour les grands studios hollywoodiens, qui ont multiplié les gros fours. Les revenus aux guichets sont à la baisse. On ne parle pas encore de «crise» comme au Québec (où l'on a l'exagération facile), mais on montre du doigt les cinémas maison et l'accessibilité de la vidéo sur demande, pour tenter d'expliquer la déconvenue.

On n'arrêtera pas le progrès. Les gens ont désormais accès à beaucoup de films dans le confort de leur salon, où trône un écran géant offrant des conditions de projection parfois supérieures à certaines salles de cinéma défraîchies. Ajoutez à cela la popularité sans cesse croissante des jeux vidéo de type Grand Theft Auto - qui ressemblent de plus en plus à des films - et l'argument de la mort du cinéma peut soudainement devenir convaincant.

Les nostalgiques comme moi, qui préfèrent s'envelopper de l'obscurité d'une salle de cinéma pour découvrir un film, se font de plus en plus rares. Même pour un cinéma qui propose des effets visuels remarquables, en arrière-plan d'une Sandra Bullock flottant malgré elle dans l'espace en trois dimensions.

La réaction de l'industrie du cinéma? Offrir une «expérience cinématographique» plus intense et plus grandiose, pour faire sortir le public de chez lui. Des sensations de plus en plus fortes, des sièges qui vibrent, un pop-corn géant extra jet de beurre, des objets qui explosent à l'écran dans un vacarme assourdissant. En veux-tu, en v'là!

Pourquoi mettre en scène un scénario audacieux quand deux superhéros peuvent détruire une ville dans une longue séquence de bagarre qui dure 12 minutes? Et vogue la galère. Le cercle vicieux des scénarios à recettes insipides se reproduisant à l'infini.

Tout n'est pas noir, heureusement. Le critique de cinéma en chef du New York Times, A.O. Scott, voit dans les déboires commerciaux du cinéma hollywoodien une occasion de se réjouir.

«Peut-être que l'échec de tant de films médiocres et boursouflés inspirera l'éclosion d'oeuvres plus discrètes et meilleures, écrit-il. Peut-être que les spectateurs, nourris par une diète constante de suites [sequels] et de publicités pour produits dérivés déguisées en films d'animation pour la famille, vont finalement dire: assez, c'est assez!»

A.O. Scott, qui n'est pas le seul parmi les observateurs à se réjouir de la déconfiture de mauvaises superproductions, croit que la perte de «prestige» du cinéma vis-à-vis des séries télévisées pourrait à terme être bénéfique.

Le cinéma est devenu si prévisible - ses comédies romantiques et ses films d'action sont devenus interchangeables - que, s'il veut de nouveau se démarquer et redorer son blason, il ne pourra faire autrement que de s'inspirer de la télévision, estime A.O. Scott.

Nous sommes peut-être même à l'aube d'un nouvel âge d'or du cinéma d'auteur, ose prédire le critique. Un «auteurisme» que l'on reconnaît selon lui dans des films à grand déploiement tels Gravity d'Alfonso Cuaron et All Is Lost de J.C. Chandor. Deux oeuvres mettant en scène des personnages laissés à eux-mêmes, dans des situations exceptionnellement périlleuses, qui se démènent pour rester en vie. Pratiquement sans dialogues, et sans autres artifices scénaristiques.

Je ne suis pas convaincu qu'un nouvel âge d'or est à nos portes. Mais tant qu'il y aura des cinéastes comme Alexander Payne pour nous proposer des road movies aussi charmants que Nebraska (à l'affiche depuis vendredi), Rebecca Zlotowski pour nous secouer avec un pamphlet écologique à teneur sociale (Grand Central, en salle vendredi) ou les frères Coen pour réaliser des bijoux d'humour fin à la Inside Llewyn Davis (le 25 décembre), on ne devrait pas trop s'inquiéter de la survie du cinéma.