Les mots "indignation" et "dignité" ont-ils la même racine? Je me suis posé la question, cette semaine, en découvrant 12 Years a Slave, le nouveau film du Britannique Steve McQueen.

Jouissant d'une réputation enviable depuis sa présentation le mois dernier au Festival de Toronto (où il a remporté le Prix du public), la plupart des observateurs lui prédisent déjà, sans doute prématurément, l'Oscar du meilleur film.

Fort d'une réception critique très enthousiaste et de trois nominations obtenues jeudi aux Gotham Independent Film Awards, 12 Years a Slave est certainement l'un des candidats les plus sérieux de la présente «saison des Oscars» (marque déposée). Et pour cause.

Ce film sur la dignité (du latin dignitas; respect que mérite quelqu'un ou quelque chose) suscite indignation (du latin indignatio; sentiment de colère provoqué par quelqu'un ou quelque chose) et admiration.

Le cinéaste des percutants Hunger et Shame porte de nouveau un coup au plexus avec cette histoire inspirée du récit authentique d'un esclave américain du milieu du XIXe siècle. Un esclave atypique, né libre au nord, puis enlevé et revendu comme esclave dans le sud des États-Unis. Il y a à peine plus de 150 ans...

En 1853, peu de temps après avoir recouvré sa liberté, Solomon Northup a écrit un livre (12 Years a Slave) sur l'horrible épreuve qu'il a traversée, les humiliations qu'il a subies, la brutalité et les exactions dont il fut l'objet, l'immonde condition d'esclave qui fut la sienne. De sa perspective d'homme ayant toujours, jusqu'à sa captivité, vécu librement.

Un récit d'une grande valeur historique sur l'esclavagisme, du point de vue inédit d'un homme devenu esclave. Un homme sans histoire qui, jusqu'en 1841, était un violoniste respectable et respecté de Saratoga, dans l'État de New York, marié et père de deux jeunes enfants.

C'était avant qu'il ne soit escroqué et berné par de prétendus artistes de cirque, qu'il accompagnait de bonne foi jusqu'à Washington. Une soirée trop arrosée - à dessein - par ses compagnons de voyage plus tard, il s'est retrouvé enchaîné dans une cellule, fouetté, battu, passé pour fugitif, puis vendu sur le marché des esclaves sous une fausse identité.

Pendant 12 ans, sous le nom de Platt (Chiwetel Ejiofor, excellent), il a été revendu plusieurs fois, d'un propriétaire de plantation louisianais à un autre, jusqu'à ce que, par la grâce d'un entrepreneur aux inclinations abolitionnistes (Brad Pitt), il puisse enfin faire valoir son statut d'homme libre.

12 Years a Slave est un film très dur, bouleversant, sur l'humiliation, le désespoir et la résilience, qui évite généralement l'écueil du pathos, malgré une bande sonore parfois insistante. Ce film qui se termine dans un silence de recueillement, entrecoupé en projection de presse par des pleurs, reste à mon sens, malgré son sujet sombre et douloureux, l'oeuvre la plus «accessible» de Steve McQueen.

Le cinéaste afro-britannique a été révélé en 2008 grâce à sa mise en scène brillante et minimaliste de Hunger. Ce film abordant également le thème de l'humiliation s'intéressait aux conditions de détention pénibles de prisonniers politiques irlandais ayant entrepris une grève de la faim, en Grande-Bretagne, au début des années 80. Un premier long métrage qui avait valu à McQueen la prestigieuse Caméra d'or au Festival de Cannes.

On y retrouvait déjà à l'écran, dans l'un de ses premiers rôles marquants, Michael Fassbender, acteur fétiche de McQueen, salué récemment pour son rôle fascinant de dépendant sexuel dans le troublant Shame (2011). L'acteur irlando-germanique, toujours aussi remarquable, incarne dans 12 Years a Slave un propriétaire de plantation de coton sudiste aussi viscéralement raciste que violent, qui traite ses esclaves au mieux comme du bétail.

Dans un registre plus réaliste, malgré une certaine théâtralité, que le Django Unchained de Quentin Tarantino (tourné simultanément en Louisiane), mais beaucoup plus brutal que la célèbre télésérie Roots, 12 Years a Slave est un film qui mérite toute l'attention et tous les éloges qu'il reçoit ces jours-ci.

Qu'importe qu'il soit plébiscité ou non par les électeurs des Oscars, aux choix parfois fort discutables. Ceux qui analysent la fameuse «course aux Oscars» (autre marque déposée), véritable campagne de séduction politique, concèdent volontiers pour l'instant une avance au film de Steve McQueen.

Ils rappellent du même souffle qu'Argo de Ben Affleck, qui allait devenir lauréat de l'Oscar du meilleur film, avait connu un début de carrière beaucoup moins prometteur que celui de 12 Years a Slave l'an dernier à Toronto, les critiques croyant peu en ses chances d'aspirer aux plus grands honneurs du cinéma américain. Les critiques, il est vrai, ont souvent tort. J'ose tout de même: allez voir ce film d'indignation et de dignité. Il est à la hauteur des attentes.

Formidable Redford

On ne l'attendait plus. Voilà qu'à 77 ans, Robert Redford offre l'une des performances les plus marquantes de sa carrière dans All Is Lost de J. C. Chandor. Un rôle quasi muet, celui d'un navigateur dans ses derniers retranchements, déployant tous les efforts pour survivre à l'accident qui a abîmé son voilier, en plein océan Indien.

Au vieux routier, champion de Sundance, certains prédisent l'Oscar du meilleur acteur, qu'il devra arracher des mains de Tom Hanks, déclaré favori pour Captain Phillips (Matthew McConaughey est aussi pressenti pour Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée). Ce serait bien mérité.

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