La maison du pêcheur, film d'Alain Chartrand à l'affiche demain, s'intéresse aux origines de la crise d'octobre 1970. En particulier au germe de la révolte des jeunes révolutionnaires qui ont formé la célèbre cellule Chénier du Front de libération du Québec, responsable de l'enlèvement et de l'assassinat du ministre libéral Pierre Laporte.

Le film explore un pan fascinant et méconnu de l'histoire du Québec: la création non sans heurts, à l'été 1969, de la Maison du pêcheur, café-rencontre mis sur pied à Percé par les militants indépendantistes Francis Simard, Paul et Jacques Rose, arrivés de Montréal en espérant conscientiser la population locale aux enjeux sociopolitiques du moment.

Le réalisateur Alain Chartrand (Chartrand et Simonne) a choisi de raconter cet épisode historique à travers l'éveil politique du jeune Gaspésien Bernard Lortie, 19 ans, qui rencontre Francis Simard et les frères Rose à la Maison du pêcheur, avant de les suivre à Montréal. (Bernard Lortie fut arrêté en novembre 1970 et condamné à 20 ans de prison pour l'enlèvement de Pierre Laporte.)

Lorsque La maison du pêcheur a été présenté en primeur au Festival des films du monde, il y a 15 jours, Alain Chartrand a insisté sur l'importance de transmettre le sens de l'histoire aux jeunes. «Il y a des trous dans notre histoire, de la manière dont elle est enseignée dans les écoles, a-t-il déclaré au terme de la projection. Il faut redonner à nos enfants et nos petits-enfants le goût de l'histoire.»

Il y a, selon Chartrand, d'autres films à faire sur la crise d'Octobre. Il a raison. Le collègue André Duchesne a d'ailleurs appris qu'un long métrage est en préparation sur Jean Corbo, felquiste de la première heure, mort à 16 ans en posant une bombe à la Dominion Textile.

Alain Chartrand a aussi raison de déclarer qu'il faut mieux enseigner l'histoire du Québec. Le gouvernement Marois a fait un pas en ce sens en annonçant la semaine dernière l'instauration, dès la rentrée 2014, d'un cours d'histoire nationale obligatoire au cégep.

Je trouve en revanche ironique dans les circonstances que le cinéaste présente le personnage principal de son film, Bernard Lortie, comme un fils de pêcheur dépossédé... alors que son père était en réalité responsable de l'entretien de la chaufferie du séminaire, puis du cégep de Gaspé.

Le détail a son importance. La dépossession du bateau du père de Bernard Lortie, l'une des premières scènes du film, est l'assise de La maison du pêcheur. C'est le prétexte au soulèvement des chômeurs de la région; l'arc narratif principal du film, sur lequel repose l'indignation de son héros.

Le point d'orgue de La maison du pêcheur est d'ailleurs une scène où Bernard Lortie, dans un rare moment de vérité et d'émotion, se vide le coeur à la radio au nom des injustices subies par son père et par tous les pêcheurs gaspésiens tenus en otages par les banquiers.

On me répondra que La maison du pêcheur est une oeuvre de fiction. Soit. Or pourquoi prendre la peine de réclamer un meilleur enseignement de l'histoire nationale lorsque l'on est soi-même prêt à déformer une réalité historique pour mieux servir les intérêts de son scénario?

Au moment de rencontrer les journalistes au FFM, Alain Chartrand a précisé que seule l'histoire d'amour de Bernard Lortie avait été romancée, et quelques personnages amalgamés ou renommés (notamment un insupportable troubadour incarnant Plume Latraverse). Tout en ajoutant que l'objectif de son film n'est pas de «réécrire l'histoire».

On peut admettre qu'un film biographique soit romancé. Que des intrigues sentimentales s'ajoutent et que certains personnages soient amalgamés, pour des raisons de compréhension du récit.

Il reste que la quête de Bernard Lortie, telle que mise en scène par Alain Chartrand, repose sur une blessure qui n'a pas existé. Celle d'un fils qui a vu son père humilié devant ses yeux, par ceux qui lui ont retiré ses outils de travail et de subsistance. Il ne s'agit pas, à mon sens, d'une considération accessoire.

Je ne prétends pas que c'est pour cette raison que La maison du pêcheur est un film raté. Même en faisant abstraction des raccourcis historiques, le film de Chartrand ne trouve jamais le ton juste entre le drame et la comédie. Son scénario est bancal, pétri de bonnes intentions. Sa réalisation emprunte une esthétique télévisuelle d'une autre époque, en noir et blanc, qui souffre forcément de la comparaison avec Les ordres de Michel Brault.

Ce qui m'amène à la question, sempiternelle, de la responsabilité des cinéastes d'oeuvres de fiction. Jusqu'où peuvent-ils prendre des libertés avec l'histoire sans verser dans le révisionnisme? Quelle importance doivent-ils accorder à une vérité historique? Cela dépend du contexte, à mon sens. Celui de la crise d'Octobre est délicat et appelle à mon sens un souci particulier.

Il y a trois ans, j'ai rencontré Michel Brault, chez lui, à l'occasion des 40 ans de la crise d'Octobre, pour discuter de son chef-d'oeuvre. Je me souviens d'une remarque qu'il m'a faite juste avant que l'on ne se quitte, sur la responsabilité des cinéastes: les films de fiction nous marquent souvent davantage que les événements réels qui les ont inspirés, et que l'on a tendance à oublier. Même par de petits détails pouvant sembler anodins, on peut réécrire l'histoire.

mcassivi@lapresse.ca