Le Festival des films du monde (FFM) s'ouvre jeudi... Attendez. Ne m'abandonnez pas si vite. Je vais essayer de trouver une amorce plus captivante. On reprend. À compter de jeudi, le FFM propose «un tour du monde en 432 films». Vous dites? Dont ceux de 425 cinéastes dont vous n'avez jamais entendu parler? Voyons. Ne soyez pas si rabat-joie. C'est moi, d'ordinaire, le pisse-vinaigre...

J'ai trouvé. Le Festival des films du monde n'a rien à envier aux autres grands festivals de films de la planète. Non, ce n'est certainement pas moi qui le dis. C'est le président-fondateur du FFM lui-même, Serge Losique. Il le répète du reste année après année, depuis aussi longtemps que je puisse me souvenir.

La conférence de presse de dévoilement de la programmation du FFM, la semaine dernière, avait d'ailleurs un air bizarre de déjà-vu. Comme si l'on assistait à la représentation annuelle d'une pièce pour deux acteurs (Serge Losique et sa vice-présidente Danièle Cauchard) créée il y a 15 ans. Avec comme seule variable quantité de titres de films d'auteur pour la plupart inconnus au bataillon (j'insiste à dessein sur le terme "inconnu").

Comme il en a l'habitude, donc, mais cette fois avec une insistance toute particulière, Serge Losique a tenu d'entrée de jeu à défendre la qualité et la pertinence de son événement - alors que personne ne lui avait encore posé de question à ce sujet.

«Le niveau de notre compétition est très fort, a-t-il déclaré. Nous n'avons rien à envier aux autres grands festivals comme Cannes, Berlin et Venise. Je tiens à le répéter.» Oui, manifestement, il y tient. Si je n'ai pas entendu cette phrase 100 fois...

Une vieille rengaine défraîchie. Le disque usé d'une gloire évaporée depuis au moins 20 ans. L'argumentaire désespéré d'un homme qui a survécu à la tempête. S'appuyant sur une étude d'Influence Communication, déjà citée 100 fois elle aussi sans contexte, dont on ne retient évidemment que ce qui est favorable, en ne s'embarrassant d'aucune nuance. Et sur une nouveauté: le FFM se retrouve désormais dans la définition du mot "Montréal" du Larousse. Ben coudon.

Un journaliste courageux a demandé à Serge Losique pourquoi il avait senti d'emblée le besoin de justifier ainsi l'existence de son festival. Sa réponse a été longue et évasive, trahissant un ressentiment envers les médias locaux. Si j'avais eu à répondre à sa place, j'aurais dit que M. Losique ne se remettra jamais de la tentative de putsch ratée de 2004-2005. Et qu'il souffre - on peut le comprendre - d'une forme de syndrome du persécuté.

La question qui, moi, m'est plutôt venue à l'esprit est la suivante: Serge Losique croit-il vraiment que le FFM n'a rien à envier aux grands festivals de cinéma de la planète? Manque-t-il à ce point de lucidité? Est-il complètement déphasé? Ou se ment-il depuis si longtemps à lui-même qu'il a fini par croire ses propres mensonges?

Quiconque a déjà mis les pieds à la Mostra, à la Berlinale ou sur la Croisette au mois de mai sait pertinemment que le FFM a tout à envier à ces festivals. Tout. Le prestige, les films attendus, les grands acteurs et réalisateurs du moment, les soirées strass et paillettes, les nouveaux visages qui comptent, les auteurs de demain, les grandes découvertes, les nouvelles tendances du cinéma mondial, etc.

Le Festival des films du monde, de son côté, si l'on veut voir les choses en face, franchement, crûment, sans complaisance, est un événement stérile, figé dans un autre temps, qui fait du sur-place depuis deux décennies.

Que l'on ne se méprenne pas. J'ai de l'affection et de la sympathie pour Serge Losique. J'ai de l'admiration pour sa témérité et sa résilience. Le cinéma québécois lui doit beaucoup. Son sort m'attriste, même si je ne peux m'empêcher, comme cinéphile, de lui reprocher d'avoir dilapidé un bien commun, en refusant obstinément de faire évoluer un festival à la réputation autrefois fort enviable.

Serge Losique aime et connaît le cinéma. Surtout celui du siècle précédent. Je le dis sans malice. Mais il divague lorsqu'il prétend que le FFM est un «grand festival», au même titre que ceux de Venise, Berlin, Cannes, voire Sundance et Toronto (oui, je sais, M. Losique, le Festival de Toronto n'est pas compétitif; ça aussi, vous l'avez répété 100 fois). C'est à se demander s'il vit à la même époque, et sur la même planète, que nous tous.

Qui tente-t-il donc de convaincre avec cette surenchère de superlatifs et de communiqués clamant que le FFM est le plus important festival du monde en telle ou telle matière, et qu'il est plus pertinent que jamais? Le public cinéphile? Les médias? Les institutions subventionnaires? Il est plus élégant, il me semble, de laisser aux autres le soin de faire des compliments. Sinon, on court le risque d'éveiller les soupçons.

Comparer le FFM aux plus grands festivals de cinéma est non seulement inutile, mais ridicule. On n'en est plus là, depuis longtemps. Que le Festival des films du monde existe encore, en 2013, est un exploit en soi.

M'est avis que ses dirigeants devraient cesser de prétendre qu'il est ce qu'il n'est pas (ou ce qu'il n'est plus). Et plutôt embrasser ce qu'il est devenu: une rampe de lancement pour certains films québécois, et une vitrine sans prétention pour des films internationaux méconnus que l'on n'aurait pas l'occasion de découvrir autrement. Ce n'est sans doute pas ce qui définit un «grand festival». Mais ce n'est pas rien.