Emmanuelle Riva la fixait de ses beaux yeux doux. «Je le reçois comme vous me le dites. C'est très gentil», a dit la grande actrice toute menue d'Hiroshima mon amour, de sa voix éthérée et rassérénante. Sophie Desmarais restait immobile, émue, les larmes aux yeux, reconnaissante.

Je me suis demandé ce que Sophie avait pu lui dire. La Sarah de Sarah préfère la course, premier long métrage de la Québécoise Chloé Robichaud - présenté ce matin en sélection officielle au Festival de Cannes dans la section Un certain regard -, espérait depuis le début de la soirée déclarer son admiration à l'actrice de 86 ans.

À ce dîner officiel donné en l'honneur des 100 ans du cinéma indien, Emmanuelle Riva se trouvait en compagnie d'Agnès Varda, présidente du jury de la Caméra d'or, remis au meilleur premier film du Festival. Un prix pour lequel concourt Chloé Robichaud. L'aborder dans un tel contexte aurait pu être perçu comme un faux pas, s'est dit Sophie.

Soixante ans séparent ces deux femmes qui pratiquent le même métier. Emmanuelle Riva, au crépuscule de sa carrière, se trouvait à Cannes l'an dernier pour le magnifique Amour de Michael Haneke, l'un de ses plus grands rôles. Sophie Desmarais, à l'affiche de deux films à sa première présence sur la Croisette (elle a un petit rôle dans Le démantèlement de Sébastien Pilote), a été annoncée par le magazine spécialisé Indiewire comme l'une des 10 actrices à surveiller au Festival, en compagnie notamment de Bérénice Béjo et d'Emma Watson.

«Je sens que les choses ont changé depuis l'article d'Indiewire. Aujourd'hui, j'ai entendu des gens dire en me voyant: ''c'est l'actrice canadienne!''« me dit Sophie, révélée au cinéma grâce à Curling de Denis Côté, l'un des cinéastes québécois les plus en vue à l'étranger et ami de la comédienne.

Sophie Desmarais, à Cannes avec son agente, rencontre des agents de casting européens, avec l'objectif avoué de faire aussi carrière en Europe. «Je fais trois films par année au Québec. Je pense qu'il y a un risque que je sois surexposée si je ne diversifie pas mon travail», m'explique cette cinéphile avertie, que l'on pourra voir cette année dans Chasse au Godard d'Abbittibbi d'Éric Morin.

«C'est une actrice et une fille formidable. Elle mérite tout ce qui lui arrive», me disait ce week-end Lucie Laurier, qui joue la soeur de Sophie Desmarais dans Le démantèlement. «Je l'adore!» dit Chloé Robichaud, qui pourrait être sa soeur tellement l'on sent une complicité entre elles. «On aime les mêmes films», ajoute Sophie, pour décrire sa relation avec Chloé, d'un an sa cadette, avec qui elle avait déjà tourné un court métrage.

C'est à la simple lecture du scénario de Sarah préfère la course que Sophie Desmarais a accepté la proposition de Chloé Robichaud et décidé de suivre un entraînement de six mois pour incarner cette coureuse de demi-fond à la croisée des chemins. Un scénario inspiré par un autre, intitulé La course finale, écrit par la cinéaste de 25 ans alors qu'elle n'en avait que 13.

«Au début du secondaire, dit Chloé, j'ai participé à un concours de scénario organisé par Le Soleil. Karine Vanasse était sur le jury. Je n'ai pas gagné, mais le personnage principal de mon scénario s'appelait Sarah et elle courait.»

Chloé et Sophie ne chôment pas depuis qu'elles sont arrivées à Cannes, il y a une semaine. Les entrevues s'enchaînent, parmi les réceptions, les rencontres et les projections. «Je n'arrive pas à manger avant le soir, me confie Chloé Robichaud, en souriant. Chaque fois que je m'apprête à prendre une bouchée le midi, on m'appelle pour une autre entrevue!»

Anoushka Shankar, fille du grand Ravi et soeur de Norah Jones, chantait une musique traditionnelle indienne avec son orchestre. «C'est surréaliste: la musique indienne, Agnès Varda, Emmanuelle Riva. On ne peut être qu'à Cannes!» dit Chloé.

Il s'agit de la deuxième sélection officielle de suite de Chloé Robichaud au Festival. Il y a trois ans, elle était sur la Croisette à titre d'invitée du Short Film Corner. «Cette année, j'y étais conférencière! dit fièrement la cinéaste, qui ne compte pas abandonner le court métrage. Les dirigeants de la compétition du court sont très heureux que je revienne en sélection officielle avec mon premier long métrage. Pour eux, c'est le parcours parfait. À Cannes, on prend vraiment très bien soin des cinéastes.»

Geneviève Pons-Cailloux, directrice d'Un certain regard, s'arrête à notre table, pour saluer Chloé. «Nous sommes très heureux de l'avoir parmi nous, dit-elle. Et nous espérons qu'elle reviendra. Les gens que nous adoptons, c'est pour toujours.»

Il est peu après minuit, la salle est pratiquement vide. Chloé aperçoit au loin Emmanuelle Riva, près de la sortie de l'Agora. «C'est ta chance! Vas-y!» conseille-t-elle à Sophie. Je les perds de vue quelques minutes. En sortant, je me trouve derrière elles. Devant moi, Emmanuelle Riva, le visage illuminé, image mythique du cinéma, remerciant Sophie, pendant que Chloé s'assure à ses côtés qu'elle ne perde pied.

«Qu'est-ce que tu lui as dit?», lui ai-je demandé. «Je vous aime tellement qu'en vous voyant, mon coeur bascule.» Sophie s'est tue, réprimant un sourire. Son menton tremblait légèrement. Ses yeux félins embués. Une larme menaçant de s'enfuir sur sa joue.

Entendu

«Une fois aux 15 ans, c'est bien assez. Non, aux 25 ans! J'oublie que je suis vieux...» - Gabriel Arcand, croisé à Cannes, où il n'avait pas mis les pieds depuis 1988 pour Les portes tournantes de Francis Mankiewicz, présenté à la Quinzaine des réalisateurs.

Vu

Blood Ties de Guillaume Canet, présenté hors compétition. Le «remake» américain des Liens du sang, un film français dans lequel il jouait avec François Cluzet. Divertissant, bien rythmé, malgré une fin qui tourne en eau de boudin...