Il avait l'air soulagé. Ravi et souriant au terme de la projection, sous les projecteurs des caméras et les applaudissements nourris des quelque 400 spectateurs de la salle comble de l'Espace Miramar.

Ce n'est pas tous les jours que l'on présente un film à Cannes. Sébastien Pilote, l'un des deux seuls Québécois sélectionnés cette année au plus prestigieux des festivals de films du monde (avec Chloé Robichaud), a connu son baptême cannois hier. Un baptême réussi.

Et pour cause. Le démantèlement, projeté en première mondiale à la Semaine de la critique, est un très beau film, lumineux et mélancolique, fait de silences éloquents et d'images magnifiques. Une oeuvre subtile, sur la transmission des valeurs et du patrimoine, et sur le déracinement d'un homme à la croisée des chemins.

Le cinéaste du Vendeur, nerveux avant la projection, semblait rassuré par l'accueil réservé à son film lorsque je l'ai rencontré quelques minutes plus tard, sur la Croisette. «C'est souvent pénible pour un cinéaste, les premières projections dans un festival, m'a-t-il confié. J'ai vu le film des centaines de fois seul, mais avec un public, c'est toujours plus stressant la première fois. C'est difficile d'anticiper la réaction. Après, on s'habitue. Il y a des gens émus qui sont venus me remercier après le film. C'est rassurant!»

L'essentiel de la distribution du Démantèlement était sur place hier. Même Gabriel Arcand, qui fuit d'ordinaire les premières et les festivals, et n'aime pas particulièrement se voir à l'écran. Le grand acteur énigmatique incarne avec énormément de grâce et de justesse Gaby, un éleveur de moutons qui décide sur un coup de tête de se départir de la ferme familiale.

«La première fois que je suis venu à la Semaine de la critique, la plupart d'entre vous n'étaient pas nés. C'était en 1972 pour La maudite galette de mon frère Denys. La Semaine de la critique a toujours été une plateforme extraordinaire pour le cinéma», a-t-il dit au public, de sa voix grave, avec son air désinvolte de bohème, un grand sac de cuir brun en bandoulière.

Ils étaient beaux à voir, réunis sur scène auprès du cinéaste. Gilles Renaud, qui interprète le comptable et ami de Gaby, Sophie Desmarais et Lucie Laurier, qui jouent ses filles - elles s'enlaçaient devant nos yeux pour se rassurer, comme si elles étaient vraiment soeurs. Et bien sûr Gabriel Arcand, décrit par le directeur artistique de l'événement, Charles Tesson, comme le «premier violon d'un film d'un classicisme d'une grande ampleur». C'est très juste.

Avec l'acuité du regard d'un documentariste, Sébastien Pilote sonde une nouvelle fois l'âme d'un homme mûr solitaire, faisant le bilan de sa vie. Comme le personnage de Gilbert Sicotte dans Le vendeur, celui de Gabriel Arcand est défini par son métier, celui d'éleveur de moutons, et par sa relation avec ses filles.

«J'ai voulu raconter l'histoire d'un père, comme celui du Père Goriot d'Honoré de Balzac, chez qui le sentiment de paternité se serait développé à l'excès, explique le cinéaste de 39 ans. Je me suis aussi inspiré d'une phrase de François Truffaut qui disait qu'un film sur un personnage sur une pente descendante ne pouvait fonctionner. J'aime les pentes descendantes. J'aime le ski!»

Gaby (Arcand) est sur le point de se lancer dans la pente. Il a trimé toute sa vie sur la terre que lui a léguée son père pour n'obtenir péniblement que des revenus annuels de 10 000$. Il a fait bien des compromis pour ses deux filles, ses «deux princesses», et s'apprête à faire un nouveau sacrifice lorsque l'aînée, Marie (Lucie Laurier), lui avoue avoir des problèmes financiers. C'est un roi Lear moderne. Le démantèlement du titre est bien celui de sa ferme.

Sébastien Pilote a filmé avec une affection manifeste ce personnage digne, au physique imposant, ainsi que sa région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, où de nombreuses bergeries ont récemment fermé. Son film est à la fois un hommage à ces agriculteurs pris à la gorge, qui se saignent pour survivre.

Les images du Démantèlement, tournées en 35 mm et signées Michel La Veaux, sont splendides; la lumière dorée sur les foins d'automne, tout aussi magnifique. On reconnaît dans le choix des plans et des cadres du cinéaste un cinéphile érudit, voire nostalgique, des références assumées aux oeuvres de Terrence Malick, de John Ford ou de Michael Cimino.

Cette impression de grand film américain rural est renforcée par une bande sonore lancinante et les chansons folk des Grateful Dead ou de Stephen Faulkner. Il y a certes des touches d'humour subtiles çà et là, dans les maniérismes de certains personnages (ce qui rappelle aussi Le vendeur), mais surtout une émotion, authentique et sincère, constamment à fleur de peau.

«Je voulais faire un mélodrame», déclare Sébastien Pilote, qui avoue ne jamais pleurer au cinéma. «Je voulais faire un film plus grand public que Le vendeur, qui était une chronique. Les gens aiment être bouleversés et touchés au cinéma. J'ai voulu être plus généreux dans l'émotion, avec la musique par exemple, sans être misérabiliste.»

Comment compare-t-il son expérience cannoise à la présentation du Vendeur au Festival de Sundance? «Je trouve qu'il y a des similitudes entre la Semaine de la critique et Sundance. On est en bras de chemise, c'est relax, il n'y a pas de tapis rouge. Je suis très honoré d'avoir été sélectionné ici. Il y a un bon buzz autour du film. Il y a déjà plusieurs acheteurs potentiels. Je suis très heureux.» Avec un brin de chauvinisme, on l'est aussi pour lui.