Notre appréciation d'une oeuvre, on rechigne à le reconnaître, est souvent teintée par nos attentes. On attend avec impatience le nouveau roman de tel auteur, on n'attend rien de la pièce de tel metteur en scène, on s'attend au pire du disque de tel chanteur.

À l'arrivée, on est agréablement surpris, amèrement déçu, souverainement indifférent. On avait (ou pas) trop d'attentes...

L'automne est d'ordinaire la saison où le cinéma américain nous réserve ses meilleurs films. Afin, notamment, qu'ils soient frais à la mémoire des électeurs de la Soirée des Oscars. La saison actuelle, malheureusement, n'est pas riche. Et à quelques exceptions près, le cru 2012 s'annonce assez limité.

Aussi, bien des attentes accompagnent le nouveau film de David O. Russell (The Fighter, I Heart Huckabees, Three Kings), qui prend l'affiche demain. Auréolé du Prix du public du plus récent Festival international du film de Toronto - comme The King's Speech ou encore Slumdog Millionaire avant lui -, Silver Linings Playbook «génère un buzz digne des Oscars», pour traduire librement l'expression consacrée à Hollywood.

Certains voient déjà en Bradley Cooper, dans un rôle dramatique aux antipodes de celui qui l'a rendu célèbre dans The Hangover, et en Jennifer Lawrence, si troublante dans Winter's Bone (qui l'a révélée et lui a valu d'être finaliste aux Oscars), des candidats possibles au prochain gala des Academy Awards.

Encouragé par le buzz, j'ai vu Silver Linings Playbook hier. J'ai découvert une charmante comédie romantique, amusante à souhait, avec ce côté décalé propre à David O. Russell, qui signe l'adaptation du livre de Matthew Quick. Voilà un film plein d'esprit, à la fois givré et nutritif, comme dirait la célèbre pub de céréales.

L'histoire d'un ancien prof d'histoire, Patrick (Cooper), tout frais sorti de l'hôpital psychiatrique où il a séjourné huit mois, après avoir sévèrement battu l'amant de sa femme, chez qui on vient de diagnostiquer un trouble maniaco-dépressif. En découvrant les troubles obsessifs compulsifs de son père (Robert De Niro), fan fini de l'équipe de football locale, on comprend que la pomme n'est pas tombée trop loin de l'arbre.

Pat a perdu son emploi, sa maison, sa femme. De retour chez ses parents à Philadelphie, en meilleure forme physique que jamais, converti à la «pensée positive», il se convainc qu'il pourra reconquérir tout ce qu'il a perdu. C'est sans compter sur sa rencontre avec une jeune veuve aussi fêlée que lui (Jennifer Lawrence), une adepte de danse sociale à la réputation de nymphomane, qui - on s'y attendait - brouille les cartes...

Le film est drôle, surtout dans sa vision sans complaisance de la maladie mentale, il est joyeusement burlesque dans sa représentation de la famille dysfonctionnelle, il est touchant par moments et devrait faire un tabac.

Mais au final, Silver Linings Playbook reste une comédie romantique somme toute conventionnelle, qui déroge peu aux règles bien établies du genre. Si bien que l'on se demande comment ce film qui valse entre une vision d'auteur originale et une structure scénaristique archi-convenue, entre un humour noir (pas assez exploité à mon goût) et une trame fleur bleue, a pu être pressenti pour les plus grands honneurs du cinéma américain. Sinon parce que, je le répète, la saison est pauvre.

Jennifer Lawrence et Bradley Cooper sont sexy, doués, convaincants, mais la partition que David O. Russell leur donne à jouer n'a pas la complexité nécessaire pour qu'ils puissent aspirer aux plus grandes récompenses. À moins, cela s'est déjà vu, que je sois complètement dans le champ.

Il faut dire que le film est soutenu par les frères Weinstein, producteurs qui n'ont pas leur pareil lorsque vient le temps de mousser des candidatures auprès du grand jury de l'Académie. Le succès de Silver Linings Playbook dépendra du poulain sur lequel les frangins comptent miser au cours des prochaines semaines. Le «feel-good movie» à valeur ajoutée, du type The King's Speech, ou le film plus ardu, qui risque de marquer à terme l'histoire du septième art?

Et j'ai nommé The Master de Paul Thomas Anderson. Dont j'ai tellement dit du bien que certains lecteurs et amis en ont été déçus. Dans mon esprit, ce film magistral, remarquablement ambitieux, inspiré par les balbutiements de l'Église de scientologie, est dans une catégorie à part à la veille de la saison des prix cinématographiques.

Je ne vois pas comment une sélection à l'Oscar du meilleur film pourrait lui échapper. Ni comment la catégorie du meilleur réalisateur pourrait se passer de la candidature de P.T. Anderson. Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman seront finalistes aux prix d'interprétation, sans le début de l'ombre d'un doute. Bref, si vous avez un film à voir cet automne, c'est celui-là.

Je n'en dis pas davantage. On pourrait m'accuser d'avoir suscité trop d'attentes...