Il y avait la voix chaude du narrateur Gilbert Sicotte. La poésie de Réjean Ducharme («Parce que moi je rêve, moi je ne le suis pas»). La présence intrigante de Pierre Bourgault. Celle, rassurante, de Ginette Reno. Il y avait des scènes d'anthologie, de grandes idées de mise en scène, un souffle, une ambition, un génie que l'on avait rarement vus dans le cinéma québécois.

Il y avait le jeune Léo Lauzon (Maxime Collin), de la rue Saint-Dominique, dans le quartier Mile End de Montréal, qui s'était inventé une vie. Une vie faite de fantasmes dans laquelle il s'appelait Leolo Lauzone et avait été conçu grâce à une semence égarée sur une tomate sicilienne.

Léolo, le chef-d'oeuvre de Jean-Claude Lauzon, a 20 ans. Sa version restaurée sera présentée mercredi dans le cadre du 36e Festival des films du monde, grâce au projet Éléphant, piloté par Claude Fournier et Marie-Josée Raymond.

Le deuxième et dernier long métrage de Jean-Claude Lauzon, inspiré de son enfance difficile et de L'avalée des avalés, fut le premier produit par Lyse Lafontaine. Le plus difficile aussi et peut-être le plus gratifiant des tournages de la productrice d'Un dimanche à Kigali, de Maman est chez le coiffeur et de Laurence Anyways.

«Un drame n'attendait pas l'autre, se rappelle-t-elle. On a eu tous les problèmes du monde, surtout avec la météo. Il pleuvait, il grêlait, il a même neigé en Sicile, ce qui n'était pas arrivé depuis 50 ans. Les Italiens de l'équipe, qui avaient travaillé avec Fellini et Visconti, appelaient ça la maledizione Lauzone!»

Pendant ce temps, Jean-Claude Lauzon, d'un tempérament bouillant, rongeait son frein. Lyse Lafontaine se rappelle avoir compris rapidement que son principal rôle serait de s'assurer que le cinéaste n'abandonne pas son plateau sur un coup de tête. «Pendant les deux premières semaines de tournage, il n'a pas arrêté de dire qu'il s'en allait et qu'il ne revenait plus!»

Tous les matins, la productrice s'assurait que Lauzon était toujours là, jusqu'à ce qu'il soit tellement investi dans le tournage qu'il n'y ait plus lieu de s'inquiéter. «Jean-Claude était un génie. Tu ne peux pas t'attendre à une réaction non émotive d'un génie. Tu ne peux pas t'attendre à ce qu'il soit cartésien, qu'il respecte tous les codes sociaux et tous ses engagements. Tu peux seulement espérer lui donner les outils nécessaires pour qu'il puisse s'épanouir.»

La productrice se dit «immensément fière» d'avoir compté parmi ceux qui ont permis à cet ambitieux projet de se réaliser. «Je ne l'ai jamais regretté une seconde. Même dans les moments où il fallait se colleter pour le budget. On n'avait pas le budget (5 millions) pour filmer tout ce que Jean-Claude voulait filmer en Sicile. Il avait une vision. Il y tenait. J'ai eu le malheur de lui faire visiter les studios de Cinecittà et il a insisté pour qu'on tourne une scène là!»

Lyse Lafontaine a eu la chance de produire Léolo lorsque son producteur initial, un Iranien établi à Los Angeles - où Lauzon a écrit son film -, s'est retiré du projet en raison d'ennuis financiers. La productrice avait rencontré le cinéaste d'Un zoo la nuit quelques années plus tôt, sur des plateaux de tournage de publicités.

«Il n'avait pas une personnalité facile, se souvient celle qui a aussi produit le documentaire Lauzon, Lauzone de Louis Bélanger et Isabelle Hébert, sur le regretté cinéaste. Chaque jour, il faisait pleurer quelqu'un sur le plateau. Il vivait avec une insécurité, une angoisse, qui faisait qu'il mordait. Une fois qu'on l'avait compris, c'était plus facile à accepter. C'était un obsessif. Il chassait avec ses propres flèches. Quand il est mort, on a retrouvé 2000 flèches qu'il avait fabriquées chez lui.»

Si elle reconnaît, comme tous ceux qui l'ont connu, que Jean-Claude Lauzon avait un caractère de cochon, Lyse Lafontaine ne tarit pas d'éloges sur «l'enfant terrible du cinéma québécois». «C'était un chirurgien avec un scalpel dans une salle de montage, raconte-t-elle. Il n'avait aucune complaisance vis-à-vis de ce qu'il avait tourné. Il a laissé tomber une scène magnifique, qui avait fait pleurer tout le monde sur le plateau, parce qu'elle ne s'arrimait pas bien avec le reste du récit.»

Un zoo la nuit avait fait fureur en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, en 1987. Cinq ans plus tard, Léolo fut un des rares films québécois sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes (depuis, il n'y a eu que Les invasions barbares en 2003). Mais 1992 fut une année de grande déception à Cannes pour Jean-Claude Lauzon qui, porté par les rumeurs favorables de la Croisette, se voyait repartir avec la Palme d'or. Il est plutôt reparti Gros-Jean comme devant.

«Ce fut difficile, très difficile pour lui, se rappelle Lyse Lafontaine. On avait beau lui expliquer qu'il y a énormément d'éléments qui entrent dans la décision d'un jury, qu'on ne peut rien y faire, il ne voulait rien entendre. Le soir même, il est parti en courant de la soirée qui avait été organisée. On l'a rattrapé et il s'est consolé avec la bande de Pierre-Henri Deleau [l'ancien dirigeant de la Quinzaine].»

Jean-Claude Lauzon est mort il y a 15 ans, presque jour pour jour. Disparu tragiquement, à seulement 43 ans, dans un accident d'avion qui a aussi coûté la vie à sa compagne, la comédienne Marie-Soleil Tougas. Deux magnifiques longs métrages témoignent de son exceptionnel talent. En 2005, le magazine Time, sous la plume de Richard Corliss, a inclus Léolo parmi sa liste des 100 meilleurs films de tous les temps.

«Je suis très heureuse de voir le film restauré, dit Lyse Lafontaine. Il n'en restait que des copies DVD. Éléphant est une collection extraordinaire et importante.» Comme ce film, parmi les plus marquants de l'histoire du cinéma québécois.

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