J'ai découvert le cinéma italien à 14 ans, un après-midi d'automne, à la plaza Alexis-Nihon. Je m'y étais réfugié après un rendez-vous chez l'ophtalmo, plutôt que de retourner en classe. Jamais l'école buissonnière ne m'a paru plus stimulante.

M'initiant au plaisir solitaire d'une salle obscure, j'ai été fasciné par les images de Jacques Perrin en cinéaste accompli, retournant dans son village natal sicilien pour les funérailles du projectionniste qui lui avait donné la piqûre du septième art.

Je n'ai jamais revu Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore, que je trouverais sans doute fleur bleue aujourd'hui. Mais pour l'adolescent que j'étais il y a 20 ans, immergé dans la culture américaine, cet hommage au cinéma fut une révélation. Comme pour le jeune Salvatore, le cinéma est devenu pour moi une passion, sinon une vocation.

Or, depuis la fin des années 80, à quelques exceptions près, je me suis souvent senti orphelin de cinéma italien. Hormis une poignée de films de Marco Bellochio, Bernardo Bertolucci, Nanni Moretti, Roberto Benigni, Gabriele Salvatores ou Gianni Amelio, j'ai très peu fréquenté le cinéma italien. D'abord parce que j'ai eu peu de films italiens à me mettre sous la dent; ensuite parce que certains d'entre eux, des mélos à l'eau de rose (le dernier Marco Tullio Giordana notamment), m'ont brouillé avec un cinéma dont j'ai préféré découvrir les grands classiques.

«Depuis 2000, il n'y a que 11 films italiens qui ont été distribués en salles au Québec et pas nécessairement les meilleurs. C'est une véritable catastrophe», me confiait cette semaine Angelo Mazzone, directeur de l'Institut culturel italien de Montréal. Il impute ce faible rayonnement du cinéma italien chez nous à une négligence, tant italienne que québécoise, à nourrir la relation entre les cinéastes italiens et les cinéphiles québécois. «Il n'y a pas de dialogue véritable depuis les années 80, dit-il. Ce vide est difficile à combler.»

En effet. Je vous parlais brièvement la semaine dernière de la faible distribution du cinéma français au Québec (seulement 4 % de parts de marchés en 2005, selon Cinéac). Celle du cinéma italien y est anémique. Une moyenne d'un ou deux films par année. Des 400 films présentés l'an dernier au Festival des films du monde, 10 étaient italiens, dont seulement quatre longs métrages de fiction. On est loin de l'époque où Ettore Scola, Francesco Rosi ou les frères Taviani étaient les chouchous du FFM.

La chute de la distribution du cinéma italien, l'un des trois piliers du cinéma international jusque dans les années 70, est bien sûr un phénomène mondial qui a coïncidé avec la disparition des grands maîtres (Rossellini, De Sica, Visconti, Fellini, Antonioni, Pasolini). Les stars du cinéma italien d'aujourd'hui, comme ses cinéastes, n'ont plus la force d'attraction qu'elles avaient à l'époque de Sophia Lauren, Claudia Cardinale ou Marcello Mastroianni. Le star-système italien, comme son cinéma, n'a essentiellement plus de rayonnement à l'étranger. Les cinéphiles québécois connaissent Monica Bellucci et Sergio Castellito, mais surtout grâce au cinéma français. Ils connaissent peu, en revanche, Margherita Buy, Stefano Accorsi et Laura Morante.

Si le cinéma national italien trouve encore sa place sur les écrans de la péninsule - en comparaison avec la majorité de ses voisins européens -, ses quelque 20 % de part de marché n'ont toutefois rien à voir avec le cinéma français qui, l'an dernier, a été fréquenté davantage en France (une part de marché de 46 %) que le cinéma américain, un résultat exceptionnel, autant en Europe qu'ailleurs dans le monde.

Au-delà des chiffres, la réputation du cinéma italien a perdu de son lustre depuis la fin des années 70, notamment dans les festivals internationaux où ses films sont peu célébrés. Les cinéastes italiens étaient des abonnés de la Palme d'or dans les années 60 et 70. Depuis 30 ans, seul Nanni Moretti (La Stanza del figlio en 2001) a mis la main sur le plus prestigieux prix du cinéma mondial.

Le cinéma italien souffre injustement d'une réputation acquise dans les années 80 en raison de mauvais films, estime Jean Gili, professeur à La Sorbonne et spécialiste du cinéma italien, de passage à Montréal cette semaine dans le cadre d'une rétrospective des oeuvres de Nanni Moretti à la Cinémathèque québécoise.

« L'idée que le cinéma italien n'est plus ce qu'il était n'a plus lieu d'être depuis 10 ans, dit-il. Malheureusement, le préjugé est tenace et de jeunes cinéastes de talent en souffrent. Le cinéma italien doit se refaire une identité internationale.»

C'est dans ce contexte que prennent l'affiche, coup sur coup ces jours-ci au Québec, deux excellents films italiens : Il Caimano (Le caïman) de Nanni Moretti et Romanzo Criminale de l'acteur-cinéaste Michele Placido, qui tient un rôle important (celui de Silvio Berlusconi) dans le film de Moretti. Il Caïmano, avec ses multiples mises en abîme, est un classique Moretti : une satire mordante, alternant entre le fictif et le réel, le public et le privé. Jasmine Trinca (la «fille» de La Stanza del figlio) s'y démarque dans le rôle d'une jeune cinéaste qui propose à un producteur déchu (l'excellent Silvio Orlando) de faire un film sur le règne de Silvio Berlusconi.

On retrouve la même Jasmine Trinca dans Romanzo Criminale de Michele Placido, un film de genre qui retrace l'ascension et la chute d'une bande de criminels ayant pris le contrôle du trafic de drogues et des réseaux de prostitution à Rome, dans les années 70 et 80. Ce film policier captivant, adapté du roman à succès d'un juge-écrivain romain (Giancarlo De Cataldo), est inspiré du règne véritable de la bande de Magliana, dont les ramifications allaient de la mafia sicilienne à certains «serviteurs» occultes de l'État. Un peu de Scorsese de Goodfellas et de Tarantino de Reservoir Dogs, dans un enrobage sonore des années 70, Romanzo Criminale prend l'affiche la semaine prochaine.

Rien de mieux que deux bons films pour se réconcilier une fois pour toutes avec un cinéma qu'on aime.