Le cinéma est le miroir du monde. Voilà ce qu'avait déclaré Jeanne Moreau à Toronto le 12 septembre 2001, tout juste au lendemain d'événements tragiques qui venaient une fois de plus bouleverser notre «ordre mondial».

Les mots de l'actrice me sont revenus à la mémoire il y a quelques jours quand je suis allé visiter un nouveau site internet consacré au Festival de Cannes. Créé par l'Institut national de l'audiovisuel, organisme dont l'une des missions est de gérer le patrimoine audiovisuel français, ce site abrite les archives audiovisuelles du plus grand festival de cinéma du monde.

En consultant tous ces documents, préservés depuis la création du festival en 1946, on constate à quel point le cinéma est intimement lié aux grands courants sociaux et à leur évolution.

Je vous disais il y a un instant être allé visiter ce site inauguré à l'occasion du 60e anniversaire du Festival international du film. Je vous ai menti. À vrai dire, j'y squatte depuis quelques jours, scotché à mon écran d'ordi comme si ma vie en dépendait. À peu près aussi fébrile que Charlie qui viendrait de gagner son ticket d'entrée pour la chocolaterie, je me gave d'extraits sonores et visuels dont j'ai trop longtemps été privé. Dont NOUS avons été trop longtemps privés. Sauf rares exceptions, ces extraits ne se sont jamais rendus ici. Doit-on vous rappeler que même les cérémonies d'ouverture et de clôture du Festival de Cannes ne sont, pour une plate question de droits, jamais diffusées au Québec? Pas même à TV5?

Voilà pourquoi une petite promenade sur ce site, intitulé Chroniques d'un Festival - Mémoires audiovisuelles du Festival de Cannes, se transforme inévitablement en rallye compulsif. Par ici les 60 ans d'images, les «carnets du festival» (dont celui du critique Jean-Michel Frodon, le directeur de la rédaction des Cahiers du cinéma), de même que les fichiers à vocation thématique (les fêtes; les excentricités, Bardot icône cannoise, etc.).

Personnellement, mes recherches se concentrent sur la «fresque interactive». C'est là que sont répertoriés tous les documents télévisuels selon l'année de diffusion.

Vous voulez replonger à une époque où le cinéma était au coeur du discours politique? Allez consulter les archives de 1968. Vous y verrez François Truffaut et toute la bande de la Nouvelle vague réclamer dans le chaos la cession des activités afin d'appuyer la révolte étudiante. «Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers, et vous me parlez travelling et gros plans!» avait alors lancé Jean-Luc Godard au cours de l'une de ses plus célèbres envolées.

Cinq ans plus tard, un présentateur à la télé parle du passage à Cannes de La grande bouffe, «le film le plus scandaleux de l'histoire du cinéma». Voyez Catherine Deneuve accompagner Mastroianni dans la tourmente, cigarette élégante et sourire en coin pendant la bousculade.

Un clic sur l'année 1977 vous donnera droit au commentaire outré de la journaliste Monique Pantel qui, furieuse après l'annonce du palmarès, aurait volontiers donné ex aequo le prix d'interprétation à Shelley Duval et - de loin dit-elle - à Isabelle Huppert plutôt qu'à Monique Mercure *. «La Canadienne, tout le monde s'en fiche! Personne n'a vu son film de toute façon!» Déplacez votre souris sur 1999, l'année de Rosetta, et vous verrez Odile Tremblay, notre collègue du Devoir, commenter sur les ondes de France 3 le palmarès «absurde» annoncé par le président du jury David Cronenberg. Bref, des heures de plaisir au www.ina-festivaldecannes.com.

Cette immersion au coeur de la plus mythique des manifestations cinématographiques nous rappelle évidemment que le 60e festival, qui se tiendra su 16 au 27 mai, approche à grand pas. Le délégué artistique, Thierry Frémaux, annoncera d'ailleurs sa sélection officielle jeudi prochain. D'ici là, les spéculations vont bon train. Avec My Blueberry Nights, le film que Wong Kar-wai a tourné en Amérique avec Norah Jones et Jude Law, L'âge des ténèbres est l'un des titres qui reviennent le plus souvent dans la machine à rumeurs. Du côté de l'équipe de Denys Arcand, personne n'est évidemment en mesure de confirmer quoi que ce soit mais selon une rumeur (une autre) qui circule, la grande première montréalaise du film aurait maintenant lieu aux alentours du 14 mai. Me semble que ça adonnerait bien...

_____________________________________________________
* Avant Marie-Josée Croze, Monique Mercure était la seule actrice québécoise lauréate d'un prix d'interprétation à Cannes. Elle fut primée grâce à sa prestation dans J.A. Martin, photographe de Jean Beaudin.