En tout et pour tout, l'extrait a duré 13 secondes. Elle : «Pourquoi vous me regardez comme ça?» Lui : «Je vous aime». Elle : «Mais vous êtes fou!» Lui : «Non.»

Treize secondes de pure magie entre Philippe Noiret et Romy Schneider. Treize secondes qui nous font immédiatement comprendre pourquoi Le vieux fusil reste encore, 32 ans après sa sortie, aussi bien ancré dans le coeur des gens. Parce que c'était lui. Parce que c'était elle.

Ce court extrait du célèbre film de Robert Enrico illuminait notamment le montage présenté en guise d'«hommage» à Philippe Noiret samedi dernier au gala des Césars du cinéma français. Un hommage plutôt chiche, si vous voulez mon avis. On a beau lui avoir dédié toute la cérémonie, il me semble que Noiret méritait quand même mieux qu'une enfilade d'extraits expédiés en vitesse au tout début de la soirée. Mais bon, les films étaient beaux, bien choisis, et tous présentés dans leur format d'origine. De l'autre côté de la grande mare, on n'a peut-être pas encore trouvé la formule d'exécution idéale quand vient le temps d'organiser un gala, mais on a encore la décence de respecter la forme cinématographique des oeuvres. Et par incidence, leurs créateurs.

À cet égard, on ne peut en dire autant de l'Amérique du Nord. Avez-vous remarqué combien d'extraits de films ont été présentés en format «plein écran» à la soirée des Oscars? La soirée hollywoodienne la plus prestigieuse qui soit, censée célébrer l'excellence de ses artisans, renvoie ainsi à la face du monde des images tronquées?

Il est vrai, à la décharge des organisateurs, que ces images «plein écran», c'est-à-dire, formatées de telle sorte qu'elle remplissent complètement un écran de télévision, étaient surtout tirées des films plus anciens qui ponctuaient les différents hommages. N'empêche que ces extraits illustraient bien le problème de la présentation du cinéma à la télévision nord-américaine.

De la même manière qu'on nous dit que le public préfère largement les versions doublées aux versions sous-titrées, on nous répète ad nauseam qu'en matière de cinéma, les téléspectateurs préfèrent de loin le format plein écran (quitte à perdre une partie de l'image), au format panoramique. L'idée d'avoir dans son champ de vision des bandes noires en haut et en bas de l'écran pour avoir droit à l'intégralité de l'image ne serait en effet pas très prisée chez nous.

Vous savez quoi? Je n'y crois pas. J'y crois d'autant moins que plusieurs émissions de télévision, ironiquement, adoptent la formule des bandes noires pour se donner un effet cinématographique. À ce que je sache, les plaintes enregistrées à cet égard contre Les Invincibles, Minuit le soir ou Lance et compte ne sont guère nombreuses. Pourquoi, alors, serions-nous aussi frileux quand vient le moment de présenter à la télé des films d'abord conçus pour le grand écran?

Est-ce normal, par exemple, que les chaînes spécialisées payantes adoptent d'emblée la politique du plein écran? Pourquoi la présentation d'un film en format panoramique leur est-elle si exceptionnelle qu'elles doivent en faire une mention dans leurs guides horaires? N'est-ce pas plutôt le contraire qui aurait du sens?

De même, nos chaînes généralistes, dont certaines proposent une excellente programmation, gâchent le plaisir du cinéphile en présentant de surcroît des copies tellement atroces qu'on ne peut pratiquement faire autrement que de changer de chaîne, ne serait-ce que par simple respect pour les artisans de ces films justement. Vous avez vu dans quel état on a présenté Anne Trister de Léa Pool récemment? Ou Les Plouffe de Gilles Carle? Lamentable.

Adoptons une politique courageuse (après tout, ne sommes-nous pas en campagne électorale?) et imposons, comme en Europe, le respect d'une oeuvre, tant dans son format que dans son intégrité. On trouvera alors bien le moyen d'ajuster notre appareil ensuite.