Le groupe Hachette Filipacchi a annoncé lundi l'arrêt de publication du magazine de cinéma américain Premiere. Suivant une tendance qui est appelée à s'accentuer au fil des prochaines années, la direction du groupe mise désormais plutôt sur son site Internet, sacrifiant ainsi sa version papier qui, depuis quelques années, avait un peu de plomb dans l'aile.

Mine de rien, cela faisait quand même 20 ans que ce magazine était dans le paysage médiatique. Né 11 ans après le grand frère français, le magazine américain avait vu le jour juste au moment où, à Paris, Première subissait déjà de profondes transformations : 1987 est en effet l'année où la plupart des journalistes de la première heure ont quitté la maison pour aller fonder le magazine Studio.

Remarquez que le Premiere américain et le Première français étaient deux publications très distinctes. Même si des échanges de bons procédés avaient lieu de part et d'autre de l'Atlantique, il reste que la publication américaine s'est démarquée très vite de son géniteur français.

Si ma mémoire est fidèle, j'avais été très déçu à la lecture du premier numéro. Format peu commode (dimension bâtarde entre le format tabloïd et le format magazine), contenu rédactionnel approximatif, mise en page parfois bizarre. Ceux qui s'attendaient à retrouver la formule du populaire magazine français n'y trouvaient alors guère de repères.

Au fil des ans, à force de rebrasser les formules et les formats, le Premiere américain a pourtant trouvé son créneau. Depuis quelques années, on y trouvait un mélange assez habile de glamour et de hard news.

Le magazine misait non seulement sur des reportages sur les films et les vedettes, mais aussi sur des histoires qui faisaient écho aux jeux de coulisses de l'industrie.

À cet égard, Premiere jouait aussi sur le terrain des journaux spécialisés. Il comportait en tout cas assez de reportages de ce type pour en faire un magazine incontournable pour les observateurs. La liste annuelle des 100 personnes les plus influentes du milieu du cinéma était d'ailleurs attendue avec fébrilité par les «professionnels de la profession». De même, c'est dans le numéro présentement en kiosque qu'est résumé tout le litige qui oppose le cinéaste Peter Jackson au studio New Line.

Premiere s'est aussi spécialisé dans les statistiques, les listes de toutes sortes, frivoles ou pas. Sur le site Web, on trouve présentement les «20 pires choix post Oscars» qu'ont faits certains lauréats au cours des récentes années, dont Cuba Gooding, Jr., Halle Berry, Roberto Benigni ou Mira Sorvino. Avec, pour chaque personnalité choisie, une description assez marrante.

Cela dit, le déclin des revenus publicitaires (chute de 25 % en 2006) aura eu raison du magazine sous sa forme traditionnelle. À une époque où les sites spécialisés dans les nouvelles artistiques drainent un trafic de plus en plus important, il devient en effet difficile de maintenir un mensuel axé sur la nouvelle qui garde la même pertinence.

Le numéro d'avril, avec Will Ferrell sur la couverture, deviendra ainsi un objet de collection.

Dire que la disparition du Premiere américain m'attriste serait peut-être y aller un peu fort. Mais elle me trouble. Parce qu'elle témoigne de la profonde mutation qui est en train de s'opérer dans le monde de l'édition. Traitez-moi de vieux croulant si ça vous chante, mais la consultation aléatoire de quelques articles sur un écran d'ordinateur n'aura jamais dans mon esprit le même caractère qu'un magazine que je peux lire d'un bout à l'autre, page après page.

On se consolera à l'idée que Première poursuit sa publication en version papier en France, en Espagne, en République tchèque, en Pologne et au Portugal. Du moins, pour l'instant. Mais aurons-nous demain encore le loisir de flâner dans les kiosques à journaux?