Le 31e Festival des films du monde a été lancé hier soir. Cela tient presque du miracle. Je fais en effet partie de ceux qui ont cru que le FFM serait mort de sa belle mort à l'heure qu'il est.

Pour tout confesser, je l'ai même intérieurement presque souhaité. Ce festival, que j'ai déjà tant aimé, n'était même plus l'ombre de ce qu'il fut à une certaine époque. Et n'avait à mon sens plus sa pertinence, ni sa place sur le grand échiquier des festivals internationaux de cinéma. Du moins, pas dans cette incarnation.

Mais Serge Losique s'est obstiné. À tel point qu'il a porté, contre vents et marées, son festival à bout de bras, même pendant les jours les plus sombres, les heures les plus creuses. Même au plus profond du fond. Devant tant de dévotion (ou d'inconscience), on ne peut que s'incliner.

Aussi certains n'hésitent-ils pas à parler d'un «retour en force» du FFM cette année, évoquant du même souffle les bonnes grâces des institutions, qui reviennent piteusement au bercail (plus timidement, cela dit), de même que la visite en nos terres de quelques grandes vedettes.

C'est peut-être aller un peu vite en besogne.

L'importance d'un festival international de cinéma se mesure non seulement à la qualité de sa compétition mais aussi à son rayonnement. Or, c'est là que le bât blesse. Pour sa section phare, le FFM doit en effet disputer les meilleurs films disponibles aux sélectionneurs du Festival de Venise, lequel a lieu pratiquement en même temps. À ce jeu, il est clair que la Mostra gagne haut la main sur son rival québécois, seul festival généraliste compétitif en Amérique du Nord, rappelons-le.

Ang Lee, Youssef Chahine, Paul Haggis, Peter Greenaway, Wes Anderson, Abdellatif Kechiche, Todd Haynes, Ken Loach. Nikita Mikhalkov, Kenneth Branagh, Takashi Miike et Eric Rohmer, pour ne nommer que ceux-là, participent à la course au Lion d'or cette année plutôt qu'à celle du Grand Prix des Amériques. Ce qui ne veut pas dire que la compétition montréalaise est de mauvaise qualité pour autant. L'an dernier, le calibre général était même surprenant. L'ennui, c'est que les prix remis au FFM n'ont plus guère de résonance à l'échelle planétaire.

En principe, les oeuvres primées dans les grands festivals internationaux deviennent instantanément des pièces de choix, portant fièrement à la boutonnière le sceau de qualité que confère une récompense prestigieuse.

Ces films voyagent ensuite sur le circuit des festivals et confirment leur réputation partout dans le monde.

Mais qu'advient-il des lauréats montréalais? Où sont passés, par exemple, les grands gagnants de l'an dernier? A-t-on de nouveau entendu parler d'Une longue marche d'Eiji Okuda et du Plus grand amour du monde de Carlos Diegues depuis leur sacre? Comme on dit à 110 % (mon émission préférée), poser la question, c'est y répondre.

Ces deux très beaux films, colauréats du Grand Prix des Amériques en 2006, ont en effet vite disparu de notre écran radar. Fait assez révélateur, très peu de médias - tant internationaux que locaux - couvrent désormais le volet compétitif du FFM dans son intégralité. Peut-être faut-il y voir un lien direct de cause à effet. Vous aurez beau avoir les plus beaux films du monde dans votre sélection, vous ne pourrez jamais vraiment vous imposer si personne n'y fait écho.

Un énorme défi attend ainsi ce FFM de «l'après crise». Il ne s'agit en effet plus d'une question de programmation mais de perception.

Serge Losique et les membres de son équipe possèdent une expertise indéniable, et des contacts partout. Il n'y a probablement aucun recoin de la planète cinéma - aussi reculé soit-il - où le grand manitou du FFM est inconnu.

Si ce dernier demeure une figure de proue pour les artisans issus de pays émergents (l'événement a toujours constitué une vitrine de choix pour les cinématographies moins visibles), force est de constater qu'un travail immense reste à faire pour rapatrier les «professionnels de la profession» et la presse.

Avec le Festival de Toronto dans son sillage, lequel fait partie, avec Cannes, Berlin et Venise, du carré d'as des grands festivals de cinéma internationaux, sans compter toutes les manifestations qui se sont multipliées au cours des récentes années, la partie est loin d'être gagnée. Mais le FFM n'en est plus à un miracle près...

Bon festival.