Comme bien des gens, j'ai très hâte de voir le plus récent film de Denys Arcand, L'âge des ténèbres, épilogue de la trilogie amorcée avec Le déclin de l'empire américain et Les invasions barbares. Le film est prêt depuis le printemps et Arcand est notre cinéaste le plus grand.

Malheureusement, il faudra que je me résigne à être l'un des derniers à le découvrir. Je n'étais pas à Cannes en mai, où le film a été présenté en première mondiale. Je n'étais pas à Toronto il y a dix jours, où il a été présenté en première nord-américaine. Je ne serai pas en France la semaine prochaine, où le film prend l'affiche sur 300 écrans, ni d'ailleurs à Grande Prairie, en Alberta, où il est projeté en exclusivité depuis hier.

Grande Prairie? C'est dans cette ville de 50 000 personnes, à la Croisette, à Toronto et plus récemment à Paris par des gens invités et en conséquence, plus heureux d'être contents que des journalistes blasés. 

«Non, mais quel accueil!» s'est exclamé le distributeur français du film, qui nous aurait étonné s'il avait dit le contraire. «À part deux ou trois journalistes merdeux québécois qui ont cherché des poux à Cannes, les échos sur le film que j'ai eus de la presse française sont loin d'être négatifs», a déclaré le producteur français du film Dominique Besnehard, jeudi au Journal de Montréal. En plus d'être méprisant, ce merdeux-ci ne sait pas lire: «Le déclin de l'empire Arcand», selon le Nouvel Obs; une étoile sur quatre dans Studio magazine. La carrière française de L'Âge des ténèbres est mal partie. 

Quoi qu'il en soit, le Québec sera le dernier territoire ou presque à voir L'âge des ténèbres. C'est un peu absurde. Je me demande à quel club V.I.P. il faudra que j'adhère, d'ici l'hiver, pour enfin voir ce film dans l'une ou l'autre de ses nombreuses versions (française, internationale, québécoise). J'y pense: il ne devait pas y en avoir qu'une seule? 

Film réel et film imaginé

En lisant, on se fait chacun son cinéma. L'expérience est intime, difficile à partager. Le film qu'on se fabrique en pensée devient forcément l'étalon par lequel tous les autres sont mesurés. La difficulté d'adapter un roman au cinéma tient à cette perception individuelle, aussi multiple qu'il y a de lecteurs-cinéphiles. 

L'écueil le plus fréquemment rencontré par le cinéaste qui se risque à l'adaptation d'un roman concerne sa fidélité à l'oeuvre originale. Si le film est trop fidèle au roman, on dira qu'il ne s'en démarque pas assez. S'il n'est pas assez fidèle au roman, on l'accusera d'avoir trahi l'esprit de l'auteur. On n'est pas loin de la «lose-lose situation» que fuient comme la peste les gens d'affaires.

 Je m'attendais à être déçu par Soie, le nouveau film de François Girard. Parce que l'adaptation d'un roman est une opération périlleuse. Pour tous les Brokeback Mountain lumineux qui rendent justice à l'écrit, pour tous les Parrain et les Clockwork Orange qui transcendent l'oeuvre littéraire, combien de Particules élémentaires qui tombent à plat au grand écran? 

En apprenant que François Girard s'attaquait au célèbre roman d'Alessandro Baricco, je me suis demandé quelle mouche l'avait piqué. Soie est un best-seller atypique. Son principal intérêt réside davantage dans la musicalité de son écriture - ce qui a probablement attiré le mélomane François Girard au projet - que dans son récit, presque banal. 

Soie n'est pas tant une relecture qu'une interprétation du roman de Baricco. Girard en offre une lecture plus froide, plus distanciée que l'écrivain. Comment rend-on à l'écran la musique d'une écriture? Peut-être est-ce impossible (l'adaptation de Novecento, par Giuseppe Tornatore, était ratée). Au-delà des images sublimes, il manque à Soie le film le supplément d'âme de Soie le roman. Comme lecteur et comme cinéphile, j'ai de la difficulté à dire pourquoi. Peut-être que Soie n'est simplement pas le film que je m'étais imaginé.