Pensez aux vieux films de sécurité routière des années 60 qu'on diffusait encore dans les écoles primaires du Québec au milieu des années 80. C'est à cela que ressemble Québec sur ordonnance, le nouveau pamphlet de Paul Arcand. Un propos plutôt alarmiste livré sur un ton professoral, dans un enrobage visuel suranné, qui fera néanmoins oeuvre utile.

Ne parlons pas de pilules ni de granules. Parlons de cinéma. Parce que Québec sur ordonnance est censé être un film. Il s'agit davantage, à mon avis, d'un reportage télé allongé inutilement de 45 minutes, qui perd en pertinence plus il ratisse large. Et il ratisse assez large, merci.

Paul Arcand, qui s'est improvisé cinéaste engagé il y a quelques années, aurait dû embaucher un réalisateur pour mener à bien son nouveau projet. Un scénariste aguerri n'aurait pas fait de tort non plus. On ne s'improvise pas documentariste. Ce film bâclé en est la preuve. Rarement ai-je vu document plus rébarbatif, du strict point de vue visuel: surimpressions d'images maladroites, «dramatisations» avec comédiens qui tombent à plat, images d'archives vieillottes, procédés désuets, fautes de goût. Les vices de forme sont trop nombreux pour qu'on les répertorie. Même la trame sonore, signée Serge Fiori, semble rescapée d'un restant de jam session des années 80.

Paul Arcand tient pourtant un sujet, qu'il noie malheureusement dans une mer de considérations plus ou moins pertinentes. Le Québec est accro aux pilules. On donne trop facilement du Ritalin à des enfants qui n'en ont pas besoin. On bourre nos vieux de médicaments dont ils pourraient se passer. La surmédication est un réel problème. Mais les innombrables cas de figure proposés par Arcand, effets secondaires à l'appui, sont superflus. Et les sujets satellites - les erreurs médicales liées aux médicaments, notamment - trop nombreux pour servir efficacement le propos.

En revanche, toute la démonstration que tente de faire le journaliste du copinage entre milieux politiques, médicaux et pharmaceutiques, par puissants lobbys interposés, est d'un réel intérêt. Elle aurait d'ailleurs mérité un traitement plus approfondi. Les médecins du Québec sont fichés par les géants de la pharmaceutique, qui savent tout ce qu'ils prescrivent, a découvert Paul Arcand. Il y a lieu de s'en inquiéter.

Par contre, le procès que fait Arcand de manière générale aux psychotropes apparaît plus bancal. C'est à se demander s'il reconnaît une quelconque vertu à la médication de la maladie mentale.

Faudrait-il qu'un schizophrène diagnostiqué cesse de prendre ses médicaments? C'est l'impression que donne la croisade anti-pilules de Paul Arcand. En moins de temps qu'il n'en faut pour dire «tendancieux», il coupe court à l'intervention du réputé psychiatre Louis Morissette, spécialiste de l'adolescence qui défend l'administration de certains médicaments chez les jeunes, sans qu'il n'ait eu l'occasion d'expliciter son point de vue.

Le fameux Doc Mailloux, psychiatre spécialiste de l'attention médiatique, quant à lui, a tout le temps qu'il faut pour dire «Paul! Ç'a pas d'allure!» et autres variations sur le même thème. Manquerait plus qu'il nous prescrive une castration chimique pour régler nos problèmes de dépendance à certaines drogues. Le Doc Mailloux qui parle de surmédication, c'est comme la juge Ruffo qui parle de droit des enfants. Pour la crédibilité, on repassera.

Paul Arcand utilise quelques arguments fallacieux pour servir les fins de sa démonstration. En cela, il n'est pas très différent de Michael Moore, dont il n'a malheureusement pas l'humour ni le sens du divertissement. Par exemple, Arcand veut bien nous laisser croire que Santé Canada ne fait strictement aucun test sur les médicaments vendus au pays et que le gouvernement fédéral a abandonné toutes ses prérogatives en la matière à l'industrie pharmaceutique. C'est un jugement un peu simpliste.

Il y a la manière Arcand, efficace, et il y a l'effet Arcand, impressionnant. Son appel à la méfiance généralisée envers les médecins, les pharmaciens et les politiciens risque de trouver un écho important dans la population. L'homme des «vraies questions» est un véritable héros populaire. Déjà que certains médecins avaient de la difficulté à convaincre leurs patients de prendre leurs médicaments, je n'ose imaginer l'effet qu'aura ce brûlot sur la paranoïa hypocondriaque collective du Québec.

N'empêche que le scepticisme et la témérité journalistique de Paul Arcand, dans notre société menée par les relations publiques, est de bon aloi. L'homme a du cran. Il a le courage de ses opinions. On peut lui reprocher son ton «donneur de leçons», limite démago, qui passe très mal au grand écran. On peut aussi lui reprocher de ne pas faire dans la fine dentelle, la circonspection n'étant pas sa principale force. Mais on ne peut lui reprocher sa capacité de s'indigner et de déstabiliser l'ordre établi. On lui souhaite de lancer un débat sur la consommation et la commercialisation des médicaments au Québec, qui serait plus circonscrit que son film.

Il reste que Paul Arcand n'est pas à sa place au cinéma. Ce n'est pas son rôle. On lui conseille en toute franchise, comme disent les anglos, «de ne pas lâcher son job de jour». Parce qu'au-delà de toutes les questions qu'il soulève dans son film, je m'en suis surtout posé une seule en fin de projection: que fait ce documentaire au cinéma? Je n'en ai pas la moindre idée.