Lancer un film sur le suicide le soir de la Saint-Valentin est une bien curieuse idée. Le faire en plus au moment où vient de paraître une étude révélant que le taux vertigineux de suicide chez les jeunes d'ici est pour la première fois en baisse, l'est tout autant. Mais j'arrête mon scepticisme tout de suite.

Tout est parfait, d'Yves Christian Fournier, d'après un scénario de Guillaume Vigneault, n'est pas un film sur le suicide. C'est un film sur l'adolescence, sur le mal de vivre, sur le vague à l'âme et, ultimement, sur la survivance.

C'est aussi un film sur le silence, mais qui paradoxalement, est très bavard: visuellement bavard. Les personnages parlent peu, mais le réalisateur compense par une boulimie d'images et de courtes séquences qui finissent parfois par donner le tournis. Ma main au feu que leur nombre dépasse le million.

Tout est parfait sort en salle aujourd'hui, mais la campagne publicitaire et la rumeur publique sont telles qu'on a l'impression qu'il est à l'affiche depuis un mois et qu'il a déjà remporté une tonne de prix. Dès les premières projections de presse, un enthousiasme délirant s'est emparé de mes camarades. Je ne le partage pas entièrement, mais je comprends d'où il vient.

Le parti pris de réalisme et d'authenticité est en effet ce qui fait la force de ce film. Pour une fois, on a l'impression de voir du vrai monde et, dans ce cas-ci, de vrais jeunes, vivre dans de vrais lieux et non pas dans des endroits luxueux loués à fort prix, puis savamment travestis par les directeurs artistiques.

Cette tendance à l'authenticité visuelle avait déjà été amorcée dans Continental, un film sans fusil, où les logements glauques d'une classe très moyenne créaient un effet visuel des plus crédibles. Tout est parfait poursuit avec le même bonheur.

Mieux encore: le film reconstruit par petites touches une morne ville de la banlieue québécoise qui n'existe pas, mais qu'on a tous l'impression de connaître et d'avoir déjà visitée. Cette ville inventée de toutes pièces est extraordinairement évocatrice et nous plonge au coeur d'un monde qui dépasse le petit Québec tricoté serré et l'inscrit dans sa belle et désespérante américanité. Cette ville, dans le fond, c'est le sujet du film.

Quant au vrai sujet du film, en principe le suicide, il ne cesse de nous échapper et de nous acculer à l'incompréhension. Comme les parents du film, nous ne comprenons pas ce qui a poussé quatre jeunes d'une même bande à se suicider et le cinquième à rester en vie. Cette position est d'autant plus frustrante qu'on sent que le réalisateur et le scénariste ont volontairement choisi de nous l'imposer, en nous forçant à subir le silence accablant des personnages.

Mais, corrigez-moi si je me trompe. N'ai-je, pas entendu Yves Christian Fournier dénoncer sur toutes les tribunes le silence et le tabou qui entourent le suicide. «Il est anormal qu'un problème qui se règle par la communication soit tu. Il faut parler du suicide», n'a-t-il cessé de marteler aux médias.

Pourtant, son film ne fait qu'entériner ce silence par l'entremise d'un jeune qui refuse obstinément d'aborder le suicide de ses amis et d'adultes qui ne le confrontent jamais sur le sujet. Bref, la fiction reproduit la réalité sans nous donner de pistes ou de réponses. Vous me direz que c'est une stratégie pour que le spectateur ressente le malaise et réagisse. Je veux bien, sauf que reproduire un problème à l'écran sans aller plus loin ne fait que le perpétuer.

En réalité, ce silence semble avoir été imposé par un choix de scénario et surtout par un dernier rebondissement. De manière à ne pas brûler son punch, le scénariste s'est enfermé dans une logique du silence. Ce faisant, non seulement il s'est privé de plusieurs ressorts dramatiques, mais il a privé le spectateur de clés pour mieux comprendre l'histoire.

Cela n'enlève pas au film ses qualités indéniables, tant sur le plan de la mise en scène que du jeu juste et touchant des acteurs. Reste qu'en sortant du cinéma, je n'ai pas pu m'empêcher de me demander: «À quoi bon faire un film sur le suicide chez les jeunes si c'est pour dire au spectateur qu'il ne comprend rien et que, de toute façon, il n'y a rien à comprendre?» Faudra un jour que quelqu'un m'explique.

En attendant, allez voir ce film. Pour voir comment les jeunes vivent. Pas pour savoir pourquoi ils se suicident.