Soir de party au pénitencier. Un prisonnier est envoyé au «trou». Sa blonde chanteuse l'attend sur scène. Il ne viendra pas, ne viendra plus. «Liberté, liberté, liberté», chante Lou Babin, d'une voix consumée de désespoir, pendant que Boyer (Julien Poulin) décide qu'il en a assez, la lame enfoncée dans le poignet.

Un grand moment de cinéma, signé Pierre Falardeau (Le party). Jamais une chanson n'a aussi bien accompagné le cinéma québécois, à mon avis, que Le coeur est un oiseau de Richard Desjardins. C'est la version chantée par Desjardins lui-même, tout aussi émouvante, mais sans l'urgence du contexte cinématographique, que l'on retrouve sur l'album Cinéma cinéma, une collection des plus belles chansons québécoises du cinéma, qui doit paraître le 26 février.

La chanson fait véritablement son apparition au cinéma québécois dans Les lumières de ma ville (Jean-Yves Bigras, 1950), rappelle dans le livret l'historien de la musique Robert Thérien. Ce film mettant en vedette Guy Maufette, Paul Berval et Monique Leyrac propose quatre chansons de Pierre Pétel, dont la très belle chanson-titre, interprétée par Monique Leyrac.

«C'est Gilles Vigneault qui donnera ses lettres de noblesse à la chanson dans le cinéma québécois», ajoute Robert Thérien, grâce notamment à Mon pays. L'hymne à l'hiver de Vigneault a été écrit spécifiquement pour La neige a fondu sur la Manicouagan, le premier long métrage d'Arthur Lamothe (1965).

On retrouve évidemment sur Cinéma, cinéma (sous la direction de Pierre Marchand), la chanson du même nom, interprétée par Chloé Sainte-Marie - sur un texte de Gilles Carle et une musique de François Guy - pour les 50 ans de l'Office national du film, en 1987. («Si c'est ça le cinéma, non merci, non merci. Ah! maman, je veux des vraies vues, des vraies vues comme on n'en voit plus. Ah! maman, je veux voir des films de l'Office.»)

Parmi les 31 titres retenus, quelques incontournables: Le temps est bon de Stéphane Venne, chantée par Isabelle Pierre dans Les mâles de Gilles Carle («Le ciel est bleu/J'ai deux amis qui sont aussi mes amoureux»), l'instrumentale La pente douce, également de Stéphane Venne (pour Les Plouffe de Carle), avec des airs d'Amélie Poulain avant l'heure, ou la plus récente Tu m'aimes ou tu mens, de Dumas et Isabelle Blais, tirée de l'irrésistible bande-sonore des Aimants d'Yves Pelletier.

Les styles, comme les artistes, sont variés. De tous les genres et de toutes les époques. À l'image du large éventail de la musique et du cinéma québécois. Le rock d'aréna des Boys, hymne à la subtilité d'Éric Lapointe («C'est plus que nos histoires de cul, de sport, de chars, de femmes/Au-delà de nos différences de vue, la gang c'est la gang»), du Paul Piché première mouture (J'étais bien étonné, du documentaire Pris au piège de Robert Favreau), Michel Rivard avec et sans Beau Dommage (Schefferville, le dernier train, notamment, tiré du Dernier glacier de Jacques Leduc et Roger Frappier). Quelques inédits en prime: Reste avec moi, chanson jazzy de Diane Tell (Bonheur d'occasion de Claude Fournier) et Tourner, de Daniel Bélanger, qui accompagne L'audition de Luc Picard.

On avait oublié (heureusement) que certaines pièces étaient associées à des films. C'est le cas de Call Girl de Nanette Workman («Je serai celle qui mettra du punch dans ton heure de lunch»; merci d'exister Luc Plamondon), composée à l'origine pour Scandale (1982) de George Mihalka, un film de série de B mettant en vedette Sophie Lorain et une équipe de tournage voulant filmer un porno à l'Assemblée nationale...

Certaines chansons sont meilleures que les films auxquels on les associe. Je pense à Miss Pepsi de Robert Charlebois, tirée de Deux femmes en or de Claude Fournier, ou à Un jour il viendra mon amour de Diane Dufresne (de L'initiation de Denis Héroux). On ne peut en dire autant de Valérie et l'amour, qui accompagnait le premier film érotique de Héroux. L'interprétation en dents de scie de Danielle Ouimet fait l'effet de faux ongles graffignant un tableau noir.

Au cinéma, on préfère les chansons ludiques aux chansons lubriques. Y'a toujours moyens de moyenner de Dominique Michel et Willie Lamothe (du film du même nom de Denis Héroux), IXE-13, The French Canadian Dream de Louise Forestier et les Cyniques (du premier film musical québécois, de Jacques Godbout), ou encore Coeur en chômage de Mouffe et Robert Charlebois (Jusqu'au coeur de Jean-Pierre Lefebvre), en hommage à Jannette Bertrand: «Madame Bertrand, je suis parfait bilingue, j'aime le bowling, les bons programmes, la danse et le cinéma.»

Dans cette collection amusante, mais forcément inégale, pas d'oublis majeurs à signaler. Mais quelques titres étonnants, qui tiennent moins du classique que du tour de chant pompier ou mielleux (quand ce n'est pas les deux). Le ciel est à moi de Marie-Élaine Thibert (Le papillon bleu de Léa Pool), Comme une plume au vent de Sylvain Cossette (Le survenant d'Érik Canuel), Ma Nouvelle-France de Céline Dion (du bide de Jean Beaudin), Depuis le premier jour d'Isabelle Boulay (Séraphin, un homme et son péché de Charles Binamé)...

On remarque d'ailleurs une tendance lourde à la ballade sirupeuse de type «dessin animé hollywoodien» (Beauty and the Beast, sors de ce corps!). De quoi meubler des heures d'antennes dans les stations de radio «adulte contemporain».

Un plaisir coupable? L'amour a pris son temps de Nathalie Simard. Un élan de nostalgie pour le fan de la première heure de La guerre des tuques. «L'amour a pris son temps, à travers les vents de janvier, à réchauffer l'hiver frileux.» Ah! ben coudonc, comme dirait l'ami Lussier. Excellent solo de Casio, en passant.