En préparant notre reportage sur les films les plus attendus de la saison estivale, publié demain dans le cahier Cinéma, je n'ai pu faire autrement que de constater à quel point certaines thématiques s'inscrivent dans «l'air du temps». Comme une façon de circonscrire dans un concept ce que les créateurs disent n'être bien souvent que le simple effet du hasard.

Je ne sais trop encore ce que signifie le courant qui semble en voie de s'installer dans le cinéma québécois. Mais le fait est que les scénaristes et cinéastes se penchent aujourd'hui massivement sur notre passé contemporain. Dès le 2 mai, Léa Pool lance le bal avec Maman est chez le coiffeur, un film dont l'intrigue est campée dans les années 60.

Deux semaines plus tard, ce sera au tour d'un personnage légendaire de la même époque, le criminel Lucien Rivard, de faire son entrée en piste dans Le piège américain de Charles Binamé.

Viendront ensuite les personnages de Cruising Bar 2, la suite d'un film issu des années 80; de même que ceux d'Un été sans point ni coup sûr, la nouvelle chronique de Francis Leclerc (adaptée du roman de Marc Robitaille), dans laquelle l'arrivée d'un club de baseball des ligues majeures à Montréal en 1969 sert de toile de fond.

Ce qu'il faut pour vivre, un drame que Benoit Pilon a réalisé à partir d'un scénario coécrit par Bernard Émond, fait par ailleurs écho à une histoire de déracinement dans le Québec des années 50.

À vrai dire, il n'y a guère que Truffe, de Kim Nguyen, (le film ouvrira le festival Fantasia le 3 juillet avant de prendre l'affiche le 25) et Le cas Roberge (Benoît Roberge) qui ne regardent pas derrière.

Vous me direz que Dans une galaxie près de chez vous 2, le délirant film de Philippe Gagnon, est aussi tourné vers le futur, mais permettez-moi quand même de vous faire gentiment remarquer que l'esthétique dans laquelle baigne l'équipage du célèbre vaisseau Romano-Fafard sort tout droit d'un vieil épisode de Star Trek, une série née dans les années 60.

En fait, il n'y a rien là de vraiment surprenant. La plupart des scénaristes et cinéastes qui sont en mesure de façonner aujourd'hui notre imaginaire collectif ont vécu leur enfance pendant que le Québec bouillonnait de l'intérieur. Or, comme le disait très justement l'actrice américaine Tina Fey lors d'une conférence de presse à laquelle j'ai eu le plaisir d'assister lundi à New York (n'est-ce pas bien placé dans la conversation?), un créateur ne parle bien que de ce qu'il connaît. Et de ce qui l'atteint.

Aux États-Unis, il y a aussi parfois convergence des thèmes. Ces temps-ci, elle se situe plutôt du côté des questions entourant la parentalité. Des films comme Knocked Up, Juno, et bientôt Baby Mama, une comédie dans laquelle Amy Poehler porte le bébé de Tina Fey (?), reflètent bien les nouvelles préoccupations d'une société qui carbure aux «valeurs familiales».

«On est en train de virer complètement fous! a déclaré mon idole Tina Fey, ancienne scénariste en chef de Saturday Night Live et conceptrice vedette de la série 30 Rock. Récemment j'ai dû passer une entrevue avec ma fille âgée de deux ans et demi pour simplement l'inscrire dans une garderie. On lui a fait passer un test! À deux ans et demi!»

Autres temps, autres moeurs, dit-on, Heureusement que certains prennent le parti d'en rire.

Fausse route

Parlant de «valeurs», j'ai entendu à la radio cette semaine Sheila Copps, l'ancienne ministre du Patrimoine du Canada, qui essayait - très maladroitement - de justifier les raisons pour lesquelles le gouvernement libéral avait songé à modifier la loi sur les crédits d'impôts en 2003, de la même manière que tente de le faire aujourd'hui le gouvernement conservateur avec son infâme projet de loi C-10.

Cette disposition, rappelons-le, donnerait un pouvoir discrétionnaire à la ministre et lui permettrait de retirer une partie du financement public d'une production jugée «contraire à l'ordre public». Mme Copps a expliqué que cette mesure avait été conçue à la suite de l'émoi très profond qu'avait suscité au Canada anglais l'annonce d'un projet de film sur Karla Homolka, la complice de Paul Bernardo, un assassin dont les crimes avaient soulevé le coeur de tout le monde.

Or, c'est justement là, à mon humble avis, que certains esprits bien pensants font fausse route. Dans le cadre d'une démarche artistique, il n'y a pas de «mauvais» sujets en soi. Les grands criminels inspirent d'ailleurs les créateurs depuis toujours. Tout est affaire de traitement, de point de vue, de talent.

Gus Van Sant n'a-t-il pas obtenu la Palme d'or du Festival de Cannes avec Elephant, un film inspiré par la tuerie de Columbine? Cette disposition de la loi C-10, aussi inutile que dangereuse, devrait être retirée séance tenante. Les professionnels de Téléfilm Canada font en effet déjà leur travail d'évaluation en vertu des lois existantes et, à ce que je sache, le pays n'a pas encore sombré dans l'horrible dépravation présumée. Souhaitons qu'il ne tombe pas dans le ridicule non plus.