Tout juste avant la projection de gala de Where the Truth Lies au Festival de Toronto il y a quelques années, le maire de la Ville reine, David Miller, avait vanté les mérites de «ce qui est maintenant devenu le plus gros festival de cinéma du monde».

Au milieu d'un discours enflammé, le premier magistrat s'était aussi permis un excès d'enthousiasme en annonçant en grande pompe la présentation «en première mondiale» du nouveau long métrage de l'enfant chéri de sa ville, Atom Egoyan. Miller avait en effet omis de dire que la «vraie» première mondiale du film avait eu lieu quelques mois plus tôt dans un endroit insignifiant, une petite station balnéaire française au nom vaguement exotique. Un endroit nommé Cannes.

Remarquez que monsieur le maire n'était pas tout fin seul à penser aussi big. L'année précédente, le célèbre critique américain Roger Ebert, soutenu par quelques-uns de ses compatriotes, avait lui aussi jeté un pavé dans la mare en affirmant que le Festival de Toronto avait désormais surclassé celui de Cannes sur l'échiquier des grands festivals internationaux.

Il est vrai que la programmation du festival torontois est généralement d'une richesse exceptionnelle, c'est entendu. Et probablement plus intéressante aux yeux de l'observateur anglo-saxon en ce qu'elle réserve de productions nouvelles qui lui sont directement destinées. Dans les faits, il n'y a pourtant même pas lieu d'en discuter: Cannes est fin seul dans sa catégorie. Et trône souverainement au sommet.

Si vous remarquez, monsieur le maire n'a d'ailleurs pas décrit l'événement qui se tient dans sa ville comme le plus «important», ou le plus «prestigieux», ou le plus «célèbre». Il a dit «le plus gros». C'est là toute la différence.

J'ai bien aimé ce qu'a déclaré le président du Festival de Cannes Gilles Jacob, à la conférence de presse tenue le 23 avril, avant de laisser Thierry Frémaux, le nouveau délégué général, dévoiler sa programmation. En substance, le grand manitou du plus important rendez-vous cinématographique de l'année a dit ceci: «Notre sélection se distingue autant par ses choix que ses refus!»

C'est dire que malgré les pressions, les milliers de requêtes, malgré toutes les bonnes raisons de faire plaisir à l'un et à l'autre, les dirigeants du Festival de Cannes tiennent mordicus à préserver le caractère exclusif de leur événement.

Alors que les autres programmateurs ont souvent le réflexe de sélectionner toujours plus de films pour «grossir» leur importance, les membres des différents comités de sélection du Festival de Cannes, eux, font des choix. Parfois déchirants. Des 1792 longs métrages venus de 96 pays soumis cette année aux sélectionneurs, seuls 22 ont été retenus pour la compétition officielle, 20 pour la section Un certain regard, et sept seront présentés hors-concours. Quarante-neuf films au total. Du côté des deux sections parallèles, la Quinzaine des réalisateurs propose 22 longs métrages et la Semaine de la critique, 10. Même en incluant les séances spéciales, le Festival de Cannes ne présente pas plus de 100 longs métrages.

À mon avis, ce caractère très sélectif contribue à nourrir le mythe cannois dans l'imaginaire collectif des cinéastes et des cinéphiles. C'est à Cannes que se définit notre prochaine année cinéma. C'est dire que les productions cinématographiques doivent impérativement se mesurer à des standards de qualité très élevés pour être retenus. La bataille étant féroce et les candidats se comptant en nombres pléthoriques, force est de constater que les films québécois semblent avoir de plus en plus de difficulté à faire leur marque. Alors que notre cinématographie nationale a connu un essor remarquable sur son propre territoire au cours des dernières années sur le plan de la popularité, les véritables percées sur le circuit international sont plus rares.

C'est un secret de Polichinelle que rien de la production québécoise soumise aux sélectionneurs cannois n'a suscité cette année assez d'enthousiasme pour mériter une place au grand banquet. Mes espions (moi aussi j'en ai quelques-uns, mais pas les mêmes qu'Hugo Dumas!) me disent que les quelques longs métrages qui sont parvenus à franchir les premières étapes de la présélection étaient pratiquement tous issus de la sphère indépendante. Si mes espions disent vrai, peut-être y a-t-il lieu de réfléchir à la question, dans un contexte où le cinéma soutenu par nos institutions semble avoir beaucoup de mal à trouver un écho à l'extérieur de nos frontières. Comment consolider une réputation à partir du moment où les productions d'ici sont généralement accueillies ailleurs dans la plus stricte indifférence? Comment construire une fidélisation du public international quand tout relève du «cas par cas»? Oui La grande séduction, oui C.R.A.Z.Y. Mais encore? Faites le test: demandez à un journaliste étranger de vous nommer un cinéaste québécois contemporain autre que Denys Arcand. L'effet est assez saisissant.

Quoi qu'il en soit, je m'envole vers la Côte d'Azur dans les prochains jours afin de commencer ma série de reportages sur le 61e Festival de Cannes dès mercredi. Vous pourrez aussi suivre mes activités sur le blogue (cyberpresse.ca/lussier). Comme je tomberai probablement dans un profond coma dès le lendemain de l'annonce du palmarès (le 25 mai), je prendrai ensuite quelques jours de repos. Cette chronique du vendredi fera donc relâche jusqu'au 13 juin.