Deux films sur l'art de plaire, qui ne plairont pas à tout le monde. Il y a plusieurs parallèles à tracer entre 99 F de Jan Kounen et Angel de François Ozon, deux films français qui ont pris l'affiche hier au Québec.

Ces deux films semblent pourtant à première vue aux antipodes l'un de l'autre. 99 F, tiré du roman éponyme de Frédéric Beigbeder, se veut un regard postmoderne sur le monde superficiel de la pub, peuplé de jeunes hommes prétentieux, rongés par l'ambition et le désir de posséder un appartement de cinq pièces dans Saint-Germain-des-Prés.

Angel, une adaptation d'un roman d'Elizabeth Taylor (l'auteure, pas l'actrice), est plutôt une caricature du monde littéraire du début du siècle dernier, mettant en scène une jeune écrivaine prétentieuse, rongée par l'ambition et le désir de posséder un château dans la campagne anglaise.

L'on aime ou l'on déteste l'un et l'autre de ces deux films. Je me suis laissé séduire par Angel, entreprise de charme surannée, d'un kitsch consommé. J'ai été profondément agacé par 99 F, démonstration s'il en faut que quelques bonnes idées ne donnent pas un bon film (surtout lorsqu'elles sont noyées dans un flot de gags puérils, de lieux communs et d'effets de réalisation trop appuyés).

Le réalisateur de 99 F, Jan Kounen, a pris un roman provocateur et en a fait un film tape-à-l'oeil, sans profondeur. J'ose à peine parler d'un film tellement cette production surchargée se limite à un vidéoclip interminable, qui s'achève d'ailleurs en queue de poisson, dans une île déserte, avec une morale boy-scout du genre: avec tout l'argent dépensé pour la pub dans le monde, imaginez combien on pourrait sauver d'enfants qui crèvent la faim. In-sup-por-ta-ble.

99 F est un film BCBG qui ne s'assume pas, se donne des airs de pamphlet anticapitaliste et s'encombre de tellement d'esbroufe qu'il en oublie sa raison d'être. Le récit grinçant de Frédéric Beigbeder, adapté pour l'écran et vidé de sa substance par Kounen, tourne rapidement à vide.

Jean Dujardin, dans le rôle d'Octave (l'alter ego de Beigbeder), concepteur publicitaire cocaïnomane, macho, odieux et matérialiste, arrive à soutenir l'intérêt par sa seule présence (très forte) à l'écran, mais il verse par moments dans une caricature telle qu'il nous empêche de prendre son personnage au sérieux et surtout de croire en sa détresse, pourtant profonde. Pour mon dollar, comme disent les Américains, ce 99 F ne vaut pas cher l'euro.

Angel, de son côté, fait aussi dans la caricature et la critique sociale, mais de manière plus subtile. On n'y croirait pas au premier coup d'oeil, tellement François Ozon a appuyé fort sur le crayon rose pour cette première réalisation en Grande-Bretagne, entièrement tournée en anglais.

À l'arrivée, cela donne une proposition amusante (sans être un grand film), qui embrasse un certain langage théâtral, et une façon de faire du cinéma nostalgique des années 40 et 50. Le jeu volontairement exagéré, à la Scarlett O'Hara, de Romola Garai (dans le rôle-titre) donne d'emblée le ton de ce drame rétro-kitsch, marqué par le second degré.

Angel Deverell est une jeune femme de milieu modeste, sûre de son talent, qui aspire à une vie de richesse et de célébrité dans la Grande-Bretagne d'avant la Première Guerre mondiale. Elle est crâneuse, effrontée, inculte, mais elle a une imagination sans borne et un sens inné du populaire. Ses rêves se réalisent lorsqu'elle devient auteure de best-sellers à l'eau de rose, qu'elle écrit à la chaîne et que ses lectrices s'arrachent.

Angel est un mélodrame à saveur de roman-savon - les séquences en transparence avec faux fond du Caire, d'Athènes ou de Venise sont délicieuses -, doublé d'un regard cynique sur la célébrité, le vedettariat et le succès populaire, forcément éphémère. À sa manière survitaminée, 99 F est aussi une critique du vedettariat dans le monde de la pub, et des plaisirs éphémères qu'il procure.

«Les modes changent si vite», déclare l'éditeur d'Angel (sorte de Céline Dion de la littérature post-victorienne) à sa mort pour expliquer qu'elle soit rapidement tombée dans l'oubli. On se désole trois secondes et demie du suicide d'un patron dans 99 F, avant d'espérer obtenir son poste.

Il est facile de plaire, beaucoup plus difficile de marquer, disent chacun à leur manière François Ozon et Jean Kounen, en posant un regard critique sur le succès et sur ses recettes plus ou moins éprouvées (tout en s'interrogeant en filigrane sur la pérennité de l'art).

Octave fabrique en connaissance de cause des publicités navrantes qui font le bonheur de ses clients. Angel fabrique sans s'en douter des romans navrants qui font le bonheur de son public.

François Ozon semble craindre d'être une Angel Deverell à 100 ans d'intervalle. Jean Kounen devrait y réfléchir. Pour Frédéric Beigbeder, il est déjà trop tard.

Cégépiens réalisateurs

Le département de cinéma du cégep de l'Abitibi-Témiscamingue organise ce week-end le 16e Intercollégial de cinéma étudiant, qui réunira 300 étudiants et professeurs de cinéma de 25 cégeps du Québec. «C'est la première fois que l'événement est organisé à Rouyn-Noranda, me précise le professeur Martin Guérin. Et c'est la première fois que l'événement attire autant de monde.» Au menu: 14 heures de projections et des conférences avec plusieurs intervenants du monde du cinéma, dont le cinéaste Benoît Pilon. Bon cinéma.