Il en va du cinéaste qui tourne une biographie filmée comme de l'actrice qui accepte de s'enlaidir pour un rôle: ses chances de remporter un prix augmentent de façon considérable.

La preuve en a été faite: un film sur sept sélectionné depuis le début de la remise de l'Oscar du meilleur film est une biographie.

Les cinéphiles, comme les électeurs des académies du cinéma, aiment les biographies filmées. Quelque chose à voir, sans doute, avec l'envie de se faire raconter des histoires dont ils connaissent déjà les grandes lignes.

Cette semaine, deux biographies filmées prennent l'affiche. W., d'Oliver Stone, dont je vous parlais la semaine dernière, et Sagan, de Diane Kurys. Sagan est l'exemple même du «biopic» classique. Une biographie filmée selon les règles de l'art, chronologiquement, d'un événement fondamental à la mort d'un personnage. Le personnage s'appelle Sagan, de son vrai nom Françoise Quoirez. L'événement fondamental: la publication en 1954 de Bonjour tristesse, oeuvre initiatique d'une jeune écrivaine de 18 ans, qui fera scandale et sensation (l'un allant souvent avec l'autre).

Aussitôt son roman cautionné par le Prix de la critique, Françoise Sagan devient célèbre. C'est le début de la tourmente. Diane Kurys (Les enfants du siècle) raconte sans esbroufe les amours et les amitiés de cette femme vivant d'excès. De manière assez conventionnelle, avec la traditionnelle descente aux enfers, suivie de la rédemption et de la mort.

Sylvie Testud incarne «La Sagan» avec une moue boudeuse d'éternelle adolescente, l'échine courbée, le phrasé syncopé. Sur le fil d'équilibriste qui sépare la caricature de la vérité. Elle tombe parfois d'un côté, parfois de l'autre.

J'ai pensé à La vie en rose d'Olivier Dahan. À la vie invraisemblable d'Édith Piaf. Françoise Sagan avait le même don du tragique. J'ai pensé à l'interprétation de «La Môme» par Marion Cotillard (qui lui a valu un Oscar). À cette façon qu'ont souvent les acteurs de forcer les traits lorsqu'ils jouent un personnage connu.

En écoutant Sylvie Testud parler de manière exagérément saccadée, en représentation théâtrale permanente, j'ai aussi pensé aux amis de Françoise Sagan. Bernard Frank a-t-il vraiment pu supporter pareille dégaine toutes ces années? Quelle part de la prestation de Sylvie Testud tient de la réalité?
J'ai enfin repensé à ces multiples biographies filmées qui finissent presque toujours par m'agacer, à force d'insister sur les moindres tics de leur sujet.

La caricature est l'écueil qui guette toutes les biographies filmées. Josh Brolin fait un très bon George W. Bush. On y croit. On ne peut en dire autant du film d'Oliver Stone. Le «biopic» n'est valable que lorsqu'il trouve le ton juste, sans verser dans le pastiche, la complaisance, la diabolisation ou l'idolâtrie.

Peu de biographies filmées y parviennent. C'est pourquoi, à mon sens, le «biopic» est un genre cinématographique particulièrement hasardeux. Un genre codifié à outrance, engoncé dans ses paramètres, poussé à l'exagération presque par définition, racoleur au possible. Le «biopic» veut plaire au public, qui le lui rend bien. Au détriment, bien souvent, du cinéma.

Heureusement, comme pour toute règle, il y a des exceptions. Pour tous les Ray (sur la vie de Ray Charles) romancés et larmoyants, pour tous les Chaplin qui passent à côté d'un sujet incontournable, il y a des biographies filmées qui valent la peine d'être vues.

Des biographies d'artistes comme American Splendor (sur le bédéiste Harvey Pekar), de sportifs comme Ali (de Michael Mann) ou de personnages historiques comme Malcolm X (de Spike Lee). Des classiques du cinéma comme La passion de Jeanne d'Arc de Dreyer ou L'histoire d'Adèle H. de François Truffaut. Des films qui défient les conventions du genre, comme The Elephant Man de David Lynch, 32 Short Films About Glenn Gould de François Girard, Ed Wood de Tim Burton ou Persepolis de Marjane Satrapi.

Des cinéastes, comme Oliver Stone (Alexander, JFK, Nixon), ont fait du film biographique un genre de prédilection. Je pense à l'artiste Julian Schnabel, qui s'est fait remarquer au cinéma grâce aux bios de l'artiste new-yorkais Jean-Michel Basquiat, du poète cubain Reinaldo Arenas (Before Night Falls) et du journaliste français Jean-Dominique Bauby (Le scaphandre et le papillon).

On pourrait discuter longtemps des qualités et des défauts de célèbres films biographiques tels Amadeus de Milos Forman, La chute d'Olivier Hirschbiegel, My Left Foot de Jim Sheridan, Walk the Line de James Mangold, Pollock d'Ed Harris, Sid and Nancy d'Alex Cox, Camille Claudel de Bruno Nuytten et autres A Beautiful Mind de Ron Howard. En attendant de découvrir le Che de Steven Soderbergh ou Il Divo de Paolo Sorrentino (sur la vie du politicien Giulio Andreotti; aujourd'hui au Festival du nouveau cinéma).
Il reste que, selon moi, deux biographies filmées, aux antipodes l'une de l'autre, se démarquent de toutes les autres. Dans le coin gauche, sous la bannière «classique»: Raging Bull de Martin Scorsese, chef-d'oeuvre monochrome sur les hauts et les bas de la vie du boxeur Jake LaMotta. Et dans le coin droit, sous la bannière «impressionniste»: I'm Not There de Todd Haynes, récit brillant et halluciné, librement inspiré de la vie de Bob Dylan.

La preuve, s'il en faut, qu'un «biopic» peut aussi être un grand film.