Plusieurs ont été surpris d'apprendre la semaine dernière que l'Américaine Susan Sarandon avait été retenue parmi les quatre finalistes au Jutra de la meilleure actrice, qui sera remis le 29 mars. Ils avaient raison d'être surpris.

Susan Sarandon, qui tient aux côtés de Gabriel Byrne, Christopher Plummer et Roy Dupuis la vedette d'Emotional Arithmetic, une coproduction tournée en Estrie, est en principe admissible à concourir aux Jutra, même si elle n'est pas québécoise. L'acteur belge Olivier Gourmet a remporté il y a deux ans, en compagnie de Paul Ahmarani, un Jutra d'interprétation pour Congorama.

Le problème, c'est que le nom de Susan Sarandon ne figure pas sur le bulletin de vote de la «meilleure actrice», envoyé par les organisateurs de la Soirée des Jutra à des acteurs et actrices qui sélectionnent les finalistes dans cette catégorie. Ce bulletin compte 23 noms de comédiennes, d'autant de longs métrages différents, mais pas celui de Susan Sarandon.

Comment une actrice peut-elle se retrouver parmi les finalistes d'un prix d'interprétation, sans avoir été inscrite sur des bulletins de vote qui déterminent les finalistes?

«Susan Sarandon se retrouve finaliste aux Jutra de façon légitime, après vérification du vote par une firme comptable (le cabinet Fauteux, Bruno, Bussière, Leewarden)», m'a répondu hier Henry Welsh, délégué général de la Soirée des Jutra, sans vouloir en dire davantage.

L'inclusion pour le moins surprenante dans les circonstances de Susan Sarandon parmi les finalistes des Jutra est un nouveau couac dans un processus de sélection qui soulève bien des questions depuis une semaine. Ma collègue Anabelle Nicoud a révélé hier qu'une liste de nominations établie par un jury de professionnels, très différente de celle annoncée par les organisateurs des Jutra la semaine dernière, circule dans le milieu du cinéma.

Cette liste, qui compte trois candidats différents sur quatre dans la seule catégorie du meilleur film, émane d'un jury constitué par le conseil d'administration des Jutra. L'exercice n'est pas sans précédent. Ce jury de professionnels a été mis sur pied il y a quelques années, selon les organisateurs des Jutra, afin de valider les résultats du vote des pairs.

Aux Jutra, comme aux Oscars, les acteurs votent pour les finalistes dans les catégories d'interprétation, les réalisateurs pour la meilleure réalisation, et ainsi de suite. Les candidats au Jutra du meilleur film, qui a fait sourciller la critique la semaine dernière en raison de l'absence de l'excellent Tout est parfait, sont en revanche sélectionnés par les producteurs, distributeurs et exploitants de salles.

Aux États-Unis, le vote de tous les membres de l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences détermine les finalistes à l'Oscar du meilleur film.

Bon an mal an, soutiennent les organisateurs des Jutra, le vote des pairs et le choix du jury de professionnels se recoupent. Or, cette année, ce n'est pas du tout le cas. Tout est parfait, étrangement absent de la liste officielle des finalistes, se retrouve dans celle du jury de professionnels; trois des quatre comédiens sélectionnés par le jury de professionnels ne comptent pas parmi les finalistes au Jutra du meilleur acteur; et Susan Sarandon, finaliste au Jutra de la meilleure actrice, n'a pas été retenue par le jury de professionnels. Peut-être parce que son nom n'était pas inscrit sur leur bulletin de vote...

Tout n'est pas parfait dans le système de nomination des finalistes aux Jutra, écrivais-je la semaine dernière. Il reste qu'à choisir entre deux modes de sélection imparfaits, même à la lumière des ratés de cette année et nonobstant les choix faits par le fameux jury de professionnels, je reste en faveur d'un vote universel. Le milieu du cinéma québécois est trop petit à mon sens pour qu'un mode de scrutin par jury ne soit à l'abri des possibilités de copinage et des apparences de conflit d'intérêts.

Certes, en privilégiant le vote universel, on s'expose à ce que des gens qui n'ont pas vu tous les films votent pour leurs candidats préférés, à la manière d'un concours de popularité. Les organisateurs des Jutra n'ont d'autre choix que de faire appel au jugement de chacun des électeurs. «Il n'en tient qu'à vous d'avoir vu les films en lice avant de procéder au vote. Voter dans une catégorie sans avoir vu les films équivaudrait à une injustice envers les finalistes», précisent-ils d'ailleurs sur chaque bulletin de vote.

Malheureusement, les apparences de conflit d'intérêts existent aussi dans le système actuel. Dans certaines catégories plus pointues, des comités de sélection à taille réduite comptent des membres qui sont associés d'une manière ou d'une autre à certains films. Je ne présume pas du tout de leur mauvaise foi, mais je remarque que leur situation est incompatible avec une fonction de juré impartial.

Le système de sélection des finalistes aux Jutra est perfectible. Cela ne fait aucun doute. Il reste que depuis 11 ans, grâce à cette soirée et grâce à une poignée de gens qui la portent à bout de bras, le cinéma québécois compte sur une vitrine de choix dont il ne pourrait plus se passer. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Mais il faut changer l'eau de temps à autre.

Un «document de travail»

Les organisateurs du gala des Jutra ont tenu à préciser la nature du document cité hier dans l'article «11e soirée des Jutra: les nominations fantômes» publié en une de notre cahier.

«La liste publiée dans La Presse était un document de travail qui sert de base de discussion, avec d'autres éléments, pour évaluer le processus de nominations. C'est une démarche normale qui tend à enrichir les réflexions des membres du conseil d'administration. À la suite d'une analyse (qui ne se fera pas avant le gala), les documents examinés permettront de définir une action propice», ont-ils fait savoir par courriel en fin de journée hier.