Quand arrive la saison des Rendez-vous du cinéma québécois et des Jutra, on célèbre, avec raison, la richesse et la diversité de notre cinématographie nationale, tout autant que sa maturité. On souligne, toujours avec autant de pertinence, l'évolution fulgurante de l'industrie, son expertise, la qualité de sa main-d'oeuvre, reconnue mondialement.

Dimanche dernier, le lauréat de l'Oscar pour la meilleure direction artistique, Donald Graham Burt, a d'ailleurs bien pris soin de remercier les artisans montréalais de The Curious Case of Benjamin Button sur la scène du Kodak Theater. Oui, nous pouvons être fiers. Et heureux d'être contents. Prends-toi z'en donc une bonne mon Serge, tu le mérites.

Puis, au même moment, arrive cette espèce de... de chose inqualifiable qui a pour titre Le bonheur de Pierre. On m'avait prévenu, remarquez. Parmi les collègues qui s'étaient tapé le film une semaine avant moi lors d'une projection de presse qui aurait même été ponctuée de quelques huées à la fin (faut le faire!), pas un seul ne tenait de propos un tant soit peu indulgents.

En mon for intérieur, je me disais que cette comédie tournée au Saguenay-lâ-lâ ne pouvait pas être aussi mauvaise qu'ils la décrivaient; que mes distingués confrères devaient bien exagérer un tout petit peu. Oui, cela leur arrive parfois. Pas souvent, cela dit. J'essayais de me convaincre en me disant aussi qu'après tout, les artisans derrière la caméra ne sont pas des novices (Robert Ménard à la réalisation, Pierre Mignot à la photo, Michel Arcand au montage, entre autres), et les interprètes mis en vedette figurent parmi les meilleurs de la profession (Pierre Richard, Sylvie Testud, Rémy Girard, Louise Portal).

La projection commence. Au bout de 10 minutes, je me suis sincèrement demandé si quelqu'un n'avait pas glissé à mon insu un vieux cap d'acide «passé date» dans mon café. En regardant Le bonheur de Pierre, j'ai eu l'impression de faire un incroyable badtrip. Un peu comme si j'avais soudainement régressé de près de 40 ans, alors que, ti-cul, je faisais mon «éducation» cinématographique en regardant - hommage ému à Dodo ici - nos chefs-d'oeuvre nationaux de l'époque: Y a toujours moyen de moyenner, Tiens-toi bien après les oreilles à papa et autres Aventures d'une jeune veuve.

À vrai dire, la somme de clichés, notamment ceux relatifs à la peur des «étranges», est tellement énorme dans ce nouveau film écrit et produit par Guy Bonnier qu'il m'est revenu à l'esprit des scènes de J'ai mon voyage!, une autre comédie «ethnique» dont la vedette était... Dominique Michel. Dans ce road movie du début des années 70, conçu pour mettre en valeur ceux qu'on appelait alors les p'tits Simard (René et Régis), une Québécoise mariée à un Français (Jean Lefebvre) entreprenait avec les enfants un voyage coast to coast de Montréal à Vancouver. Bonjour le choc culturel.

Les comédies citées plus haut étaient bien entendu affligeantes. Mais elles avaient au moins l'excuse d'avoir été réalisées à une époque où le Québec s'ouvrait à peine sur le monde. La volonté des créateurs de rejoindre un vaste public était alors aussi une notion toute nouvelle. Surtout, les artisans du cinéma québécois étaient tous en train d'apprendre leur métier au sein d'une industrie naissante.

Quarante ans plus tard, la présence d'une niaiserie comme Le bonheur de Pierre dans notre paysage est impardonnable. Non seulement les situations décrites relèvent d'un humour tout droit sorti de l'âge de pierre, mais les gags sont basés sur des antagonismes culturels dont on se serait crus débarrassés depuis la fin de la grande noirceur il y a 50 ans. Et puis, faut-il vraiment, pour faire rire la galerie, faire appel à autant de facilité?

Outre le florilège de tous les poncifs entourant le mythe de la maudite «cabane au Canada», fallait-il en plus présenter cette bande de villageois comme des ploucs finis, illettrés xénophobes, probablement consanguins, à côté desquels les citoyens d'Hérouxville pourraient passer pour des spécialistes des questions liées à l'intégration?

Si j'habitais le Royaume, pas certain que je jubilerais en voyant la façon dont mon coin de pays - et les gens qui l'habitent surtout - est dépeint dans cette coproduction offensante, probablement la plus désolante à voir le jour chez nous depuis l'atroce C'est pas moi, c'est l'autre, une comédie du même acabit avec Roy Dupuis et Anémone.

Et si j'étais Sylvie Testud; autrement dit, si j'étais l'une des meilleures actrices du moment et que je m'apprêtais à aller chercher aujourd'hui, peut-être, mon troisième César grâce à Sagan, je serais assurément tenté d'imiter Jeanne Moreau. Et je ferais disparaître à tout jamais Le bonheur de Pierre de ma filmographie officielle, de la même manière que Roméo et Juliette reste pratiquement introuvable dans celle de l'inoubliable interprète de Jules et Jim.

Qui veut gagner des Jutra?

De la révision d'un système de votation découle un choix déchirant: un système privilégiant le scrutin universel (ce qui est le cas depuis de début) repose sur la bonne foi de ceux qui retournent leur bulletin. Un système avec jury prête flanc au copinage et aux apparences de conflits d'intérêts. Très franchement, le système universel me semble plus indiqué. À la condition qu'il soit mis en application avec rigueur. Mais ce n'est pas toujours simple. Lâ lâ.