«Hier, c'était une institution extraordinaire; aujourd'hui, c'est une institution en voie de disparition. Demain, ça pourrait être autre chose. Mais on est au Canada, où on a l'art de se détruire et de se tirer dans le pied!»

Ces paroles sont de Jacques Godbout. Elles peuvent être entendues dans une vidéo dans laquelle l'auteur cinéaste livre un vibrant plaidoyer afin que l'Office national du film du Canada puisse bénéficier des ressources nécessaires à son épanouissement.

Lancée par le syndicat des employés de l'ONF, cette campagne, mise sur pied pour dénoncer le sous-financement d'une institution qui célèbre cette année sa 70e année d'existence, s'inscrit plus largement dans le débat sur le rôle que doit tenir la culture dans une société. Et les sommes qu'il faut y investir afin qu'elle puisse fleurir.

Évidemment, il ne fallait pas s'attendre à ce que ce cri d'alarme soit entendu à Ottawa. «Le budget est suffisant et adéquat pour les besoins actuels de l'ONF», a déclaré Deirdre McCraken, porte-parole du ministre de la Culture James Moore, quand elle a été interrogée à ce sujet par ma collègue Violaine Ballivy. Fin de la discussion.

La situation serait-elle préoccupante à ce point? Pas selon Tom Perlmutter, le président de l'ONF. Au cours d'un entretien accordé hier en fin de journée, ce dernier me disait être sensible à l'appel lancé par ceux qui ont participé à cette campagne, mais que celle-ci s'était orchestrée sans lui. De toute évidence, le président reconnaît la réalité avec laquelle il doit composer, mais il affirme du même souffle qu'il y a quand même moyen de fonctionner.

«C'est une question d'orientation, dit-il. La pertinence d'un service public ne passe peut-être plus nécessairement par les mêmes voies. L'ONF connaît un nouveau dynamisme depuis quelques années, en tout cas assez pour que le gouvernement se soucie de nouveau de notre existence!»

Même si le gouvernement fédéral actuel compte très peu d'alliés dans le milieu culturel, il serait malhonnête de prétendre que ces années de vaches maigres sont directement imputables à ses politiques. La situation n'était guère plus rose du temps où les libéraux étaient au pouvoir.

La crise économique dure depuis 15 ans à l'ONF, disent les employés. Ces derniers font aussi remarquer que les crédits parlementaires ont fondu de façon dramatique au milieu des années 90 (81 millions en 1994-95; 67 millions en 2007-2008).

Cette discussion a toutefois le mérite de mettre une fois de plus en exergue notre profond attachement à la culture, mais aussi à nos sociétés publiques, lesquelles ont joué - et jouent encore - un rôle crucial dans les fondements même de notre identité. Faut-il d'ailleurs s'étonner que, dans le grand ensemble canadien, il n'y a pratiquement que des voix issues des minorités qui se soient fait entendre jusqu'à maintenant?

À celles de Jacques Godbout, Roger Frappier et Benoît Pilon s'ajoute en effet celle d'Alanis Obomsawin, réalisatrice légendaire, dont le témoignage se révèle particulièrement émouvant.

«L'ONF, c'est la liberté d'expression, affirme la cinéaste abénaquise dans la vidéo qu'elle a enregistrée à l'occasion de cette campagne. C'est la toute première institution à nous avoir donné une place. Avant d'y arriver, je ne savais pas qu'il existait un endroit au Canada où nos peuples pouvaient faire entendre leur voix. Le fait de nous voir à l'écran, de nous y reconnaître, a changé nos vies. Les politiciens et les gouvernements devraient montrer un plus grand respect envers cette institution.»

Au-delà de cet instrument à travers lequel une pluralité de voix et de points de vue peuvent se faire entendre, une institution publique comme l'ONF constitue aussi, comme le fait très justement remarquer le producteur Roger Frappier, un espace de «recherche et d'expérimentation».

C'est-à-dire que les créateurs disposent là d'un endroit où ils peuvent exercer leur art en travaillant à long terme, bien à l'abri des figures imposées que leur dictent les impératifs d'une industrie désormais axée sur la performance et le box-office.

Dans le contexte actuel, la présence d'une institution comme celle-là se révèle on ne peut plus précieuse. Quiconque se rend sur le site web de l'ONF pour utiliser le nouveau service de visionnage en ligne ne peut que célébrer la richesse du patrimoine cinématographique qui s'y trouve. Lequel, malgré les restructurations et les révisions de budgets, continue de se bonifier d'année en année.

Mais viendra-t-il un moment où l'institution ne pourra plus fonctionner adéquatement? Ce jour-là, s'il arrive, sera tragique pour notre peuple. Et la pérennité de sa culture. C'est ce que craignent les créateurs qui ont pris la parole cette semaine.

Le retour de l'enfant terrible

C'est un genre d'exploit. Tournant le dos aux organismes de financement, André Forcier a pris ses cliques et ses claques et a décidé d'aller tourner Je me souviens quand même, en faisant un beau gros doigt d'honneur au système. Sa fable militante, campée dans le Québec de l'époque de la grande noirceur, fait partie de ce que le réalisateur a fait de mieux depuis longtemps.

Juste revanche, le nouveau film de celui qu'on surnomme encore «l'enfant terrible du cinéma québécois» prend aujourd'hui l'affiche dans un circuit de près d'une vingtaine de salles au Québec. Et donne l'occasion aux cinéphiles de se confronter à une vraie personnalité de cinéaste.