Dans la salle du Palais de la Croisette, archi comble, régnait un silence tendu et admiratif.Puis des applaudissements nourris ont résonné comme autant de bravos au terme de la première représentation de Polytechnique, du Québécois Denis Villeneuve, aujourd’hui, à la Quinzaine des réalisateurs.

«J’adore tous ces plans renversés», disait une spectatrice à sa voisine qui lui avouait avoir dû lire les sous-titres anglais pour tout capter des dialogues québécois. «J’ai eu du mal à me faire à l’accent canadien au début!»

Karine Vanasse, rayonnante, s’était postée à l’arrière de la salle avec son compagnon et coproducteur, Maxime Rémillard. Bien des cinéphiles, journalistes et gens du milieu sont restés à leurs sièges pendant le générique, signe pas-du-tout-scientifique d’un accueil favorable. Autre indice qui en vaut bien d’autres: très peu de gens ont quitté la projection avant la fin. À Cannes, où l’offre est surabondante dans les différentes sections, il n’est pas rare de voir des salles se vider progressivement lorsqu’un film n’est pas apprécié.

Il faudra cependant attendre la critique des quotidiens et des magazines spécialisés, au cours des prochains jours, afin d’avoir une idée plus nette du genre de sort qui pourrait être réservé au film à l’étranger, notamment en France où il n’a pas encore de distributeur.

«Polytechnique s’et imposé comme un film important, tant du point de vue de la mise en scène, que des prouesses formelles et techniques, que de l’interprétation et du propos, très humaniste», a souligné en conférence de presse Olivier Père, délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, qui accueille exceptionnellement trois films québécois cette année.

Lorsqu’un journaliste français a remarqué que Polytechnique lui faisait inévitablement penser à Elephant, de Gus Van Sant, Denis Villeneuve a répondu du tac-au-tac: «Moi aussi… Je suis un grand fan des films de Gus Van Sant. Et franchement, je croyais que Polytechnique ne serait jamais à Cannes à cause d’Elephant. Pour réaliser le film, il a fallu que je fasse comme si Elephant n’avait jamais existé. C’est une œuvre magistrale.»

La conférence de presse, dans la foulée de la projection, fut tout aussi courue, avec une soixantaine de journalistes et de cinéphiles au quartier général de la Quinzaine. «Je suis très heureux d’être ici, ça me touche beaucoup», a déclaré Villeneuve, qui a remporté l’an dernier le prix du meilleur court métrage de la Semaine de la critique avec Next Floor, et a déjà présenté Cosmos (une œuvre collective) et Un 32 août sur Terre à Cannes dans le passé.

«Chaque fois que je viens à Cannes, je fais comme si c’était la dernière. Ce n’est pas facile de venir ici», a ajouté le cinéaste, qui a suspendu le tournage en Jordanie de son prochain film, Incendies, pour faire un saut de moins de 24h sur la Croisette. Le tournage d’Incendies, qui a commencé il y a trois jours à peine, doit se poursuivre encore 25 jours au Moyen-Orient.

«C’est très intense, dit Villeneuve de l’adaptation cinématographique de la pièce de Wajdi Mouawad. L’industrie cinématographique jordanienne en est à ses débuts. Les gens sont très enthousiastes. C’est une expérience très riche de pouvoir diriger en arabe (grâce à une interprète) des Jordaniens, des Libanais, et des réfugiés irakiens, qui sont pour la plupart des non-professionnels. J’adore ça.»

Johnny, tu me fais mal

Il y a quatre ans, lorsque Johnnie To a présenté Election en compétition à Cannes, je m’étais demandé si le Festival avait «à ce point besoin de rajeunir son image». Copier-coller. Je n’ai rien contre le cinéma de genre asiatique, mais ce que le plus récent film du cinéaste hong-kongais fait en compétition officielle demeure pour moi un mystère.

Bien sûr que la violence esthétisée de Johnnie To, qui soigne admirablement ses plans, porte une signature originale. Mais de A Hero Never Dies à ce Vengeance, ses scénario archi-conventionnels distillent sans subtilité les mêmes thèmes éculés: rivalités entre gangs ennemis et tueurs à gages dans l’univers des triades.

La différence, cette fois, c’est que Vengeance met en vedette Johnny Hallyday. Le mystère de l’attrait en France pour Johnny, rockeur quétaine adulé, reste aussi entier pour moi. La presse française, chauvine au possible avec son idole défraîchie, espère voir Johnny réhabilité au cinéma par Johnnie, comme autrefois John Travolta chez Tarantino.

«Johnny le magnifique», écrivait hier Libération à propos de ce rôle de tueur devenu chef cuisinier à moitié sénile, qui part à Macao venger la famille assassinée de sa fille (Sylvie Testud, dont le talent est une nouvelle fois gaspillé). «A Palm is born?» se demande en éditorial, sans rire, le magazine Le film français.

Magnifique? On n’a pas vu le même film. Johnny Hallyday est tellement mauvais, tellement figé, tellement peu naturel, dans Vengeance qu’on est mal pour lui. Y a-t-il déjà eu, je le demande, pire interprétation au Festival de Cannes? Franchement, ça m’étonnerait.