Il a osé dire qu’il rêvait de Cannes depuis longtemps. Il ne le regrettera pas. Xavier Dolan a réussi son pari. J’ai tué ma mère, le tout premier film de ce cinéaste québécois d’à peine 20 ans, a séduit le public du plus important festival de cinéma du monde aujourd’hui. 

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Accueilli par des applaudissements nourris et des éclats de rires spontanés lors de la première de deux représentations à la Quinzaine des réalisateurs, cette comédie dramatique brillante et foisonnante a confirmé la rumeur favorable qui courrait à son sujet depuis plusieurs jours sur la Croisette.

Xavier Dolan est une révélation et J’ai tué ma mère, un exploit. Scénarisé à 17 ans, tourné à 19, ce film doux-amer, en grande partie autobiographique, clairsemé de traits d’humour très fins, tient pratiquement du conte de fée.

Xavier Dolan n’avait jamais tourné le moindre court métrage et venait d’abandonner ses études collégiales lorsqu’il a décidé de réaliser un film. Il y a investi toute sa fortune, 150 000 $ de cachets d’une carrière d’enfant-acteur. Les institutions gouvernementales ont d’abord refusé de le subventionner (la SODEC s’est ravisée par la suite), mais il a maintenu le cap, contre vents et marées, soutenu dans son entreprise par des acteurs gagnés à sa cause (Anne Dorval, Suzanne Clément et Patricia Tulasne, notamment)

Aujourd’hui, l’audace de Xavier Dolan, auteur, réalisateur, producteur et acteur principal de J’ai tué ma mère, pourrait lui valoir – pourquoi pas? – la Caméra d’or du meilleur premier long métrage du Festival de Cannes.

«Les attentes me font peur. Je ne suis pas nécessairement lucide par rapport au film. Je croyais que le joual serait un barrage, mais je constate que l’accueil est bon. C’est rassurant», me confiait-il hier. 

Xavier Dolan impose avec ce premier film, tourné avec seulement 800 000 $, une authentique vision de cinéaste. Ses plans fixes étudiés, ses cadrages décentrés, ses vignettes multiples, sa direction artistique soignée témoignent d’une signature forte. Celle d’un jeune réalisateur, faisant certes la démonstration de l’étendue de sa grammaire – un clin d’oeil ici aux 400 coups, une bande-son qui rappelle celle de In the Mood for Love –, mais qui sait déjà habilement mesurer ses effets.

Cette histoire d’amour-haine entre un adolescent allumé et prétentieux, Hubert (Dolan, très juste), assoiffé d’émancipation, et sa mère quétaine (formidable Anne Dorval), excédée par les humeurs de son fils, met en lumière, dans un duel verbal soutenu, d’une réelle violence, le grand talent de dialoguiste de Xavier Dolan.

Le jeune scénariste sait manier avec une maturité désarmante le drame et la légèreté, l’autodérision et la dénonciation, l’émotion brute et l’effet comique, au moyen de répliques truculentes qui ne sonnent jamais faux. Lorsque le directeur du pensionnat où elle a envoyé son fils remet en question ses capacités maternelles, la mère d’Hubert le bassine d’une diatribe d’anthologie. Les spectateurs du Palais Croisette ont applaudi à tout rompre ce morceau de bravoure d’Anne Dorval.

L’actrice était émue lorsqu’on lui a rapporté cette réaction spontanée. «Je suis très surprise. Ça me touche énormément.» Anne Dorval, que l’on voit trop peu au cinéma, tient là un grand rôle. Et Dolan, un film singulier, tout à fait réussi, qui pèche peut-être par certains excès stylistiques, mais témoigne d’un souffle unique.

«Ce film a été un vrai coup de cœur», a déclaré en conférence de presse le délégué général de la Quinzaine, Olivier Père, en soulignant «le talent extrêmement prometteur» de Xavier Dolan. «C’est assez invraisemblable d’être ici», a confié de son côté le jeune cinéaste à la foule compacte venue l’entendre sur la Croisette.

Le scénario du deuxième film de Xavier Dolan, Lawrence, anyways, à propos d’un transsexuel, est déjà prêt. «J’ai envie de le tourner le plus vite possible», dit-il.

J'ai tué ma mère doit prendre l'affiche le 5 juin au Québec. Il sera distribué en France, et pas seulement de manière confidentielle si l’on en croit l’enthousiasme cannois, par REZO Films, qui a aussi acheté ses droits à l'international.

Le public cannois, réputé l’un des plus exigeants du monde du cinéma, a embrassé J’ai tué ma mère. Mais saura-t-il conquérir celle à qui il s’adresse indirectement? « Ma mère n’a pas encore vu le film, dit Xavier Dolan. Mais je pense qu’elle va l’aimer.» Elle en a toutes les raisons. 

Un face-à-face Dolan-Resnais

Xavier Dolan, en tant que plus jeune cinéaste du Festival de Cannes cette année, doit participer, à l’invitation du réseau Canal +, à un face-à-face avec le vénérable Alain Resnais, 86 ans, doyen de l’événement. Rappelons que la Quinzaine des réalisateurs, qui a présenté au cours de son histoire des cinéastes aussi talentueux que Bresson, Fassbinder, Kaurismaki, Jarmusch, Kitano, Egoyan, Scorsese, Oshima, Loach, Haneke, Coppola père et fille ou encore les frères Dardenne, accueille exceptionnellement cette semaine trois auteurs québécois: Denis Villeneuve, Denis Côté et Xavier Dolan.