Tout vient à point à qui sait attendre. La barbe blanche du sage, le visage empourpré par l’émotion, le cinéaste autrichien Michael Haneke a reçu la Palme d’or du 62e Festival de Cannes, dimanche soir, des mains de la présidente du jury Isabelle Huppert, pour le fascinant et rigoureux Ruban blanc (Das weisse band).

Habitué du palmarès cannois, Michael Haneke avait remporté le Grand Prix du jury pour La pianiste en 2001 (qui avait valu un prix d’interprétation à Isabelle Huppert) et le Prix de la mise en scène pour Caché, quatre ans plus tard. Mais la prestigieuse Palme d’or lui avait jusqu’ici échappé.

«C’est le meilleur prix que l’on peut avoir dans le monde du cinéma», a déclaré, ravi, le cinéaste de Code inconnu en conférence de presse. Avait-il l’intuition que cette fois-ci serait la bonne? «Quand j’étais à Cannes la dernière fois pour Caché, tout le monde me disait que j’allais avoir la Palme d’or et je ne l’ai pas eue. Je me méfie des rumeurs.»

Le ruban blanc, une œuvre austère et cérébrale, magnifiquement filmée en noir et blanc, s’intéresse aux racines du fascisme dans un village très strict du nord de l'Allemagne, peu avant la Première Guerre mondiale. L’esthète qu’est Michael Haneke y explore le thème de la déshumanisation de façon subtile, par le biais d’une mise en scène extrêmement soignée et des dialogues parfois très durs.

Favori des festivaliers, Un prophète du Français Jacques Audiard a dû se «contenter» de l’équivalent de la médaille d’argent du Festival, le Grand Prix du jury. «Je suis très surpris. Depuis 20 minutes, 40 personnes m’ont posé des questions qui remettent en question la qualité du prix que j’ai reçu. C’est quoi l’histoire? Il n’est pas bien ce prix?», a demandé le cinéaste de Sur mes lèvres, légèrement excédé.

Malgré les qualités incontestables d’Un prophète, il aurait été étonnant que le jury d’un festival français, présidé par une Française, accorde deux ans de suite la Palme d’or à un film français. Entre les murs, de Laurent Cantet, a remporté l’an dernier la Palme d’or après une disette de 21 ans pour la France (depuis Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat en 1987).

Isabelle Huppert s’est défendue de tout favoritisme à l’endroit de son ami Michael Haneke et du Ruban blanc, premier film du cinéaste tourné en allemand depuis Funny Games. «C’est un film extraordinaire. Il se trouve que j’ai travaillé avec Michael Haneke sur deux films et que j’aime son cinéma. Il parle d’humanité, en empruntant parfois des chemins tortueux.»

Parfaitement maîtrisée, d’une qualité formelle admirable, Le ruban blanc est une œuvre à mon sens moins fulgurante que Caché. Elle mérite néanmoins pleinement sa consécration. On ne peut en dire autant d’autres choix faits par le jury.

Le Prix de la mise en scène à l’affligeant Kinatay du Philippin Brillante Mendoza a été à juste titre hué copieusement par les journalistes. Et on s’explique mal le Prix du scénario décerné à Nuits d’ivresse printanière de Lou Ye, un film poétique qui se démarque essentiellement par sa mise en scène.

Aussi, le Prix du jury attribué à Thirst, film de vampires laborieux du Coréen Park Chan-wook (Grand Prix du jury en 2004 pour Oldboy), en a étonné plusieurs. En revanche, le Prix du jury (ex aequo) à Fish Tank, d’Andrea Arnold, a souligné un très beau film, dans la tradition du réalisme social britannique de Mike Leigh et Ken Loach. Andrea Arnold avait remporté ce même prix, en 2006, pour l’excellent Red Road.

Personne n’a été surpris par les prix d’interprétation accordés à l’Autrichien Christoph Waltz, formidable dans le rôle d’un commandant SS dans Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, et à Charlotte Gainsbourg, mère endeuillée aux prises avec un violent délire psychotique dans le brillant et controversé Antichrist de Lars Von Trier.

«J’embrasse ma mère, a déclaré la fille de Jane Birkin et Serge Gainsbourg, émue et émouvante, en recevant son prix. Et je pense à mon père et à quel point il aurait été fier de moi. Fier d’être choqué!»

Le vétéran de la compétition, Alain Resnais, 86 ans, a reçu un prix spécial pour l’ensemble de sa carrière. La Caméra d’or du meilleur premier film a quant à elle été remise à Samson and Delilah, de l’Australien Warwick Thornton. J’ai tué ma mère, de Xavier Dolan, comptait parmi les 26 candidats en lice. 

Le ruban blanc a aussi remporté samedi le prix de la presse internationale ainsi qu’une mention du jury oecuménique, qui a récompensé Looking For Eric, charmante comédie dramatique de Ken Loach.