C'était au lendemain de la clôture du Festival de Cannes. À l'aéroport de Nice, cherchant désespérément un cadeau pour ma blonde à la boutique «avec pas de taxes», je tombe face à face avec un grand type bedonnant, le cheveu hirsute, la chemise mal repassée sortie du pantalon, les verres fumés vissés sur un nez aquilin. Ce grand menton me dit quelque chose...

La veille, Quentin Tarantino brillait par son absence à la cérémonie de clôture. On le croyait reparti dans ses terres états-uniennes, à cuver une réception mitigée au festival qui l'a mis au monde il y a une quinzaine d'années. Il était toujours à Cannes, mais pas au Palais des Festivals, pour voir quantité de réalisateurs recevoir des prix à sa place.

La presse française l'a dit furieux du «prix de consolation» décerné par le jury présidé par Isabelle Huppert à Inglourious Basterds, son plus récent film. Le prix d\interprétation à l'excellent Christoph Waltz, amplement mérité, n'a surpris personne. Sinon, chou blanc au palmarès. Même Brillante Mendoza a glané un prix de la mise en scène pour son affligeant Kinatay. Un film pénible que Tarantino, cinéphile iconoclaste, a adoré. «C'est mon coup de coeur du festival», a-t-il déclaré.

Plutôt que de repartir Gros-Jean comme devant le soir du palmarès, le grand Quentin a probablement préféré rester dans sa chambre d'hôtel. Le croiser à Nice, le lendemain matin, l'air bourru, m'a donné l'impression de l'artiste vexé qui boude, de l'enfant gâté qui stipule solennellement: «Si c'est comme ça, je ne viens pas!» Tant pis pour Christoph Waltz, qui s'est contenté de la présence à ses côtés sur le tapis rouge des producteurs Harvey Weinstein et Lawrence Bender.

La réception tiède faite à Inglourious Basterds à Cannes a eu l'effet d'une claque pour Tarantino. Parce qu'il est un enfant chéri du Festival (il a été révélé à 29 ans à la Quinzaine des réalisateurs par Reservoir Dogs, en 1992, avant de remporter la Palme d'or deux ans plus tard, pour Pulp Fiction). Et parce qu'Inglourious Basterds est sans doute son film le plus ambitieux à ce jour.

Campé en France sous l'Occupation, ce film de guerre atypique doublé d'un hommage aux westerns spaghetti suit une bande de soldats juifs américains déguisés en civils, qui sèment la terreur chez les nazis. Inglourious Basterds, que ses détracteurs ont trouvé long et verbeux, m'a paru au contraire puissant et maîtrisé, sordide et cynique, grandiloquent certes, mais grandiose et majestueux.

Le cinéaste de Kill Bill s'y trouve à 46 ans au sommet de sa forme, grâce à un cinéma de référence pleinement assumé, varié et foisonnant, une mise en scène particulièrement soignée et un scénario dense et inventif, qui ne craint pas les excès et les invraisemblances. La signature visuelle de Tarantino y est bien en évidence, comme son humour décalé et son goût immodéré pour le sang et le gore.

Vous dire comme il n'y avait pas meilleur candidat pour clôturer le Festival Fantasia, mercredi prochain. Cette belle prise du festival montréalais, officialisée cette semaine, est d'autant plus fumante, comme l'a souligné mon collègue Jean-Christophe Laurence, que c'est la version remontée d'Inglourious Basterds qui sera présentée, en primeur canadienne sinon nord-américaine, dans quelques jours au Théâtre Hall de l'Université Concordia.

Car paradoxalement, si Tarantino a pu sembler déçu de son «prix de consolation» à Cannes, il s'est aussi dit déçu de son film, quelques jours après l'avoir vu (pour la première fois, dit-il) au Théâtre Lumière. Il ne jouait pas au faux modeste. Avant même la fin du Festival, le cinéaste a confirmé qu'il retournait à la salle de montage, afin de corriger «quelques défauts» qui lui avaient échappé jusque-là. La version finale d'Inglourious Basterds, qui doit prendre l'affiche le 21 août au Québec, sera sensiblement de la même longueur que la version présentée à Cannes (un peu moins de 2 h 30), mais avec des ajouts et des amputations de séquences.

Il ne semble pas que l'on verra davantage dans cette nouvelle mouture le personnage interprété par Maggie Cheung, coupé au montage dans la version originale. Le rôle d'une propriétaire de salle de cinéma parisienne, qui avait d'abord été offert à Isabelle Huppert, a été supprimé. Ce qui, bien sûr, a alimenté toutes sortes de rumeurs à Cannes. Inglourious Basterds a-t-il été snobé par le jury présidé par Isabelle Huppert parce que cette dernière a voulu se venger d'avoir été écartée de la distribution du film? C'est accorder beaucoup d'importance à une présidente du jury, et aux rumeurs de tensions entre l'actrice et le cinéaste.

Si la rencontre du Tarantino nouveau et du Festival de Cannes n'a pas donné lieu au coup de coeur attendu, le match entre le réalisateur de Pulp Fiction et le Festival Fantasia semble en revanche parfait.

Quentin Tarantino est depuis toujours un champion du cinéma de genre, le sien mais surtout celui des autres. Lorsqu'il était lui-même président du jury du Festival de Cannes, en 2004, il a mené une campagne afin qu'Oldboy, de Park Chan-wook, obtienne la Palme d'or (il s'est contenté du Grand Prix, au grand dam de plusieurs observateurs qui ne le voyaient pas au palmarès).Cette année, Thirst, du même Park Chan-wook (Prix du jury à Cannes), fut l'un des films les plus célébrés de Fantasia. Eli Roth, l'un des acteurs d'Inglourious Basterds, sera de la présentation du film, mercredi à Concordia.

Quentin Tarantino, qui a personnellement souhaité la présence de son film à Fantasia, selon les organisateurs, n'a jamais mis les pieds au Festival mais en serait un fan. Il y serait de toute évidence accueilli comme un demi-Dieu. On peut toujours rêver...