En novembre, le cinéaste belge Patric Jean a dû annuler une visite aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Il devait y présenter son plus récent film, La domination masculine, dans lequel témoignent quelques masculinistes québécois.

Le documentariste, qui a infiltré les réseaux masculinistes pendant plusieurs semaines sous un nom d'emprunt, a craint pour son intégrité physique en lisant des messages menaçants sur le web.

La domination masculine - «une provocation qui fera grincer des dents», de l'aveu même du cinéaste - prend l'affiche demain, précédé par sa réputation controversée. C'est un documentaire engagé, pertinent et percutant, sur l'état des relations hommes-femmes en France, en Belgique et au Québec, en ce début de XXIe siècle.

Le film s'ouvre sur les images d'un allongement chirurgical du pénis. «Un centimètre dans le pénis, c'est un kilomètre dans la tête», dit un chirurgien, en précisant que «l'appareil sexuel est un élément symbolique extrêmement important qui est relié au sens de la domination, du pouvoir masculin».

C'est à ce pouvoir, et à ses mécanismes insidieux, que s'intéresse le document de Patric Jean. Son parti pris féministe est clair: si les sociétés occidentales sont toujours aussi patriarcales, c'est que l'homme n'a ni la volonté ni d'intérêt à ce que la situation de la femme ne change.

Le symbole phallique est au coeur de la démonstration, manichéenne mais convaincante, de ce cinéaste bien connu pour son engagement. À commencer par la tour du pavillon principal de l'Université de Montréal, qui rappelle le douloureux souvenir du massacre de Polytechnique.

Le documentariste a rencontré Monique Simard et Francine Pelletier, visées expressément par une lettre laissée par Marc Lépine, ainsi que le père d'une victime (Anne-Marie Lemay) et une survivante, touchante de dignité, qui a dit au tueur: «On n'est pas des féministes», avant qu'il ne tire.

La tragédie du 6 décembre 1989 a ouvert la porte à la libre expression d'un discours antiféministe extrêmement violent, constate Francine Pelletier. À preuve, les perles de mépris et de fiel misogyne recueillies auprès d'une demi-douzaine de masculinistes québécois par Patric Jean, qui s'est fait passer pour l'un d'eux afin d'obtenir leurs confidences.

Non seulement le geste de Marc Lépine est-il banalisé par un masculiniste comme «une erreur politique», mais on prétend qu'au Québec, «l'homme est castré», qu'«on n'a plus le droit d'être un homme» et qu'«il y a plus d'hommes victimes de violence conjugale que de femmes».

Aussi au musée des horreurs: «le féminisme est un crime contre l'humanité», l'homme québécois vit «comme sous l'Allemagne nazie» dans l'oppression constante d'une «société matriarcale» comparable au «régime taliban», et pour finir: «Les comparaisons avec le régime stalinien et le régime fasciste sont évidentes.» Oh boy! De quoi avoir honte de son sexe.

Heureusement qu'il y a «Denis», un homme violent qui se soigne, et Francis Dupuis-Déri, l'auteur de l'essai Le mouvement masculiniste au Québec, pour sauver un peu l'honneur de l'homme québécois. Dupuis-Déri constate notamment que le discours du ressac est toujours le même dans les luttes pour les droits à l'égalité: «On prétend toujours que le mouvement d'émancipation avait du bon au départ, mais qu'il est allé trop loin.»

C'est précisément ce ressac antiféministe qui inquiète le plus les Québécoises réunies par Patric Jean, parmi lesquelles Monique Simard, Pascale Navarro et feu Hélène Pedneault (à qui La domination masculine, titre emprunté à Pierre Bourdieu, est dédié). «C'est une lutte au patriarcat, le féminisme, parce que l'on veut abolir un système social», dit avec beaucoup d'à-propos Francine Descarries.

Contrairement aux masculinistes, dont le discours est uniformément extrémiste, les féministes québécoises sont dépeintes par le cinéaste dans la nuance et la lucidité. Elles regrettent notamment la connotation péjorative donnée au terme «féministe», «l'illusion de l'égalité qui est entretenue chez les jeunes», «la révolution inachevée» du féminisme et la montée en puissance du fondamentalisme dans les religions patriarcales.

Patric Jean oppose aussi à la femme québécoise intelligente, forte et insoumise un stéréotype de femme française qui accepte volontiers les diktats machistes de la majorité. Ces femmes célibataires rencontrées lors d'une séance de «speed dating» recherchent l'archétypal mâle protecteur. «J'ai besoin d'un homme qui me domine légèrement», dit l'une d'entre elles. «Le rôle de la femme, c'est de se faire jolie, sans être superficielle pour autant», dit une autre. Toutes préfèrent rencontrer un homme qui gagne plus d'argent qu'elles, pour ne pas créer de complexes chez le mâle français...

Le cinéaste pose en revanche sur le féminisme québécois un regard complaisant, presque idéalisé. «Vous avez 20 ans d'avance sur la plupart des pays européens, dit-il. C'est pour ça que je voulais venir filmer ici.» Il omet de mettre en lumière les dérapages et exagérations inévitables du féminisme, moins fréquents et plus subtils que le camion de 18 roues d'aigreur et de ressentiment du mouvement masculiniste québécois.

On me dira que c'est un exemple anodin et circonstanciel, mais j'ai reçu hier, par courriel, une lettre ouverte de Pol Pelletier, qui s'insurge contre le 30e anniversaire d'Espace Go, qu'elle perçoit comme une usurpation du sens et de l'histoire du Théâtre expérimental des femmes, qu'elle a fondé en 1979. Sa lettre commence ainsi: «Je crois que le peuple québécois est en voie de disparition. Il tue ses femmes.»

C'est une métaphore. Mais ce «tue» de provocation, ce «tue» de rhétorique, est à mon sens un «tue» de trop. Il perpétue, à petite échelle peut-être, les préjugés sur la «féministe enragée». Écrire que le peuple québécois «tue ses femmes» ne peut avoir un sens strictement métaphorique depuis le 6 décembre 1989.

Les égarements du féminisme ne sauraient évidemment justifier le discours haineux des masculinistes québécois. Les témoignages poignants de femmes battues et abusées par leurs maris, filmés par Patric Jean, nous rappellent que le combat pour une égalité entre les sexes est loin d'être gagné.