Même dans leurs rêves les plus délirants, Sandra Bullock et Kathryn Bigelow ne se sont probablement jamais vues tenir un Oscar entre leurs mains. J\'en suis convaincu. Les deux femmes ont pourtant écrit l\'histoire hier soir, chacune à sa façon, en mettant le grappin sur l\'une des précieuses statuettes. Même contesté, l\'Oscar demeure encore le plus grand, le plus prestigieux symbole d\'accomplissement dans le monde du showbiz, toutes disciplines confondues.

Rien ne laissait pourtant deviner que Sandra Bullock serait un jour sacrée meilleure actrice de l\'année aux Oscars. Même au moment de la sortie de The Blind Side, le film qui lui a valu cette accolade inespérée de ses pairs, personne n\'envisageait un tel destin. Aucune performance d\'actrice marquante ne s\'étant vraiment distinguée au cours la dernière année au cinéma (à part celle de Charlotte Gainsbourg dans Antichrist!), la profession a ainsi eu l\'occasion de saluer le talent d\'une comédienne sympathique jouissant d\'une très forte popularité.

 

Depuis le début de sa carrière, Sandra Bullock est d\'une rare constance à ce chapitre; la plupart des comédies dans lesquelles elle a joué ont su rejoindre un vaste auditoire. Elle fut d\'ailleurs sélectionnée sept fois pour le People\'s Choice Award de l\'actrice favorite du public. Elle l\'a remporté à cinq occasions! Mis à part ces trophées, elle ne comptait jusqu\'à hier que quelques nominations aux Golden Globes (toujours dans la catégorie des comédies), de même que ce «prix d\'excellence» honorifique, remis par le Festival des films du monde de Montréal, qui avait tant fait sourire. À l\'époque, c\'était en 1998, l\'actrice devait gérer «l\'après» Speed 2: Cruise Control, suite désastreuse du film à succès qui l\'avait imposée.

De quelle façon Sandra Bullock est-elle entrée dans l\'histoire hier? La vedette est la première à être sacrée le même week-end meilleure actrice aux Oscars (The Blind Side), où l\'on récompense l\'excellence au cinéma, et pire actrice aux Razzie Awards (All About Steve), où l\'on «célèbre» les plus mauvais films de l\'année. Bonne joueuse, la vedette est allée chercher elle-même son Razzie samedi soir, accentuant ainsi le haut degré de sympathie qu\'elle suscite. Elle a même promis de ramener son trophée l\'an prochain si les membres de la Golden Raspberry Award Foundation regardaient All About Steve de nouveau. Un chariot rempli de DVD l\'accompagnait sur scène.

Un destin imprévisible

Kathryn Bigelow n\'est pas non plus une habituée des grandes cérémonies. Et n\'avait certainement pas prévu faire l\'histoire de cette façon dans son plan de carrière. Jusqu\'à hier, la cinéaste à la caméra musclée ne comptait que de petits insignes à son actif, la plupart de ses films ayant été complètement ignorés des associations professionnelles. Pour tout dire, le laurier le plus prestigieux associé à l\'une de ses réalisations fut celui remis à «l\'acteur le plus désirable», Keanu Reeves, aux MTV Movie Awards en 1992. Point Break avait fait le plein d\'entrées cette année-là.

La réalisatrice doit être elle-même la première étonnée du destin extraordinaire qu\'a connu The Hurt Locker. Un peu comme Crash, qui avait été présenté dans l\'indifférence à Toronto en 2004 avant d\'aller décrocher l\'Oscar du meilleur film en 2006, le film de Kathryn Bigelow a d\'abord été présenté à Toronto et à Venise en septembre 2008. L\'accueil fut bon, mais il n\'y a pas eu de vague. Lors de la sortie en salle l\'été dernier, les critiques furent très favorables, mais bien peu y voyaient un lauréat potentiel de l\'Oscar du meilleur film. La réputation s\'est établie. Comme cela arrive souvent dans ces cas-là, l\'effet d\'entraînement a joué. Tant mieux.

Personnellement, je me réjouis surtout du sacre de la réalisatrice. Et ce, même si on peut trouver un peu ironique le fait de constater que le cinéma de la toute première femme à qui l\'on attribue l\'Oscar de la meilleure réalisation n\'a pas grand-chose en commun avec celui de Lina Wertmuller, Jane Campion ou Sofia Coppola. Les trois autres réalisatrices, seules à avoir été citées aux Oscars auparavant, posent en effet sur leur art un regard résolument féminin. Bigelow aborde de front des histoires de mecs. Il suffit de voir la manière avec laquelle elle filme les hommes de The Hurt Locker pour comprendre à quel point le monde «masculin» la fascine. C\'est probablement l\'une des facettes les plus fascinantes de sa démarche. Sans parler de son talent de réalisatrice, enfin reconnu.