Après celui de Fatima en des temps anciens, et celui de la Caramilk au siècle dernier, le «secret» de The Crying Game est probablement le plus célèbre de notre histoire contemporaine. Pour le bénéfice de nos lecteurs de la génération iPod, le thriller de Neil Jordan, réalisé en 1992, révélait un élément très surprenant, devant lequel le spectateur ne pouvait faire autrement que d'exprimer son étonnement, parfois en poussant spontanément un cri d'effroi. Parmi les mots-clés aboutissant à ce titre sur l'Internet Movie Database, il y a «sexual disgust». C'est tout dire.

À l'époque, tout le monde est entré dans le jeu. Médias et simples spectateurs ont jalousement gardé le secret afin de ne pas contrer l'effet voulu par le cinéaste. En ces temps-là, mes tout-petits, les ordis ronronnaient à basse vitesse pour tenter de se rendre péniblement quelque part sur «l'autoroute de l'information». Une telle complicité collective était encore possible.

Aujourd'hui, alors que le moindre détail d'un projet est relayé à la demi-seconde près sur tous les réseaux sociaux, il est bien difficile pour les créateurs de préserver un tel effet de surprise.

L'élément plus «secret» du nouveau film de Robert Morin, Journal d'un coopérant, n'est pas de même nature que celui qu'on retrouvait dans The Crying Game, mais il n'en est pas moins surprenant. Surtout dans la manière qu'emprunte le cinéaste pour évoquer ce glissement progressif et inéluctable. Officiellement, le film propose une vue de l'intérieur du monde de la coopération internationale en Afrique, avec les ratés qui le caractérise. Mais il est au bout du compte bien plus riche. Et la métaphore, elle, est bien plus troublante.

Même si je sais très bien que le «secret» sera probablement éventé ailleurs avant la sortie du film, vendredi prochain, j'ai quand même choisi d'en faire mon Crying Game. C'est dire que cet élément du récit ne sera pas évoqué dans l'entrevue que vous lirez demain dans notre cahier Cinéma.

Le plus beau de l'affaire, c'est qu'avec ou sans choses à cacher, le propos de Robert Morin reste toujours aussi fort et pertinent.

Traitement de choc

Mon collègue Marc Thibodeau faisait écho hier à l'émoi qu'a suscité en France la présentation, sur une chaîne publique à une heure de grande écoute, du document-choc Le jeu de la mort. Dans une ambiance de jeu-questionnaire, le réalisateur Christopher Nick propose une nouvelle version d'une expérience effectuée dans les années 60 par le psychologue américain Stanley Milgram sur les mécanismes de soumission à l'autorité.

Je n'ai pas vu ce film. Dont les droits d'exploitation pour le territoire québécois viennent d'être acquis par la société Métropole Films. Mais la description qu'on en fait - des concurrents administrent des chocs électriques à leur partenaire - me laisse croire que le questionnement soulevé par ce document dépasse largement celui du «pouvoir démesuré de la télévision».

De La mort en direct jusqu'au Prix du danger, en passant par Network, bien des films se sont déjà penchés sur les dérapages que peuvent engendrer le sensationnalisme télévisuel. Si vous en avez l'occasion, je vous suggère de louer Das Experiment (L'expérience), un film allemand d'Olivier Hirschbiegel, celui-là même qui, plus tard, devait réaliser La chute. Au coeur du récit: une étude du comportement de 20 individus ayant répondu à une petite annonce, qu'on plonge dans un faux milieu carcéral. Huit d'entre eux héritent des rôles de gardiens; les 12 autres de ceux des détenus. Les premiers doivent faire régner l'ordre et la discipline; les autres vivent enfermés et doivent obéir. D'abord considérée comme un jeu par les participants, l'expérience prend vite une tournure de plus en plus troublante au fil des heures et des jours. Des jeux de pouvoir s'exercent. Bientôt, plus personne n'aura de contrôle sur la situation. Ce film effroyable montre de quoi sont capables des individus parfaitement ordinaires lorsqu'un pouvoir leur est donné. Le cinéaste démonte ainsi les mécanismes menant à tous les abus, à toutes les horreurs, à tous les nazismes. Ce Jeu de la mort semble faire écho à ces mêmes bas instincts. Aucune date de sortie n'est encore fixée chez nous.

Thank You for Smoking

Je ne fume plus depuis 25 ans. Je ne m'en porte que mieux. Quand le Conseil québécois sur le tabac et la santé s'est couvert d'un ridicule absolu mercredi en annonçant ses «Prix Cendrier», dénonçant le «message véhiculé par les scènes de tabagisme» au cinéma, une envie furieuse d'en griller une m'a traversé le corps. Amis cinéastes, faites désormais bien attention. Bientôt, on calculera le nombre de calories qu'ingurgitent vos personnages en mesurant aussi la teneur en sodium des aliments qu'ils bouffent. Leur menu sera sain, bien équilibré, et exempt de tout produit pouvant contenir des arachides. On vérifiera aussi s'ils dorment sur des oreillers allergènes dans une position jugée acceptable; s'ils portent leur casque quand ils se baladent en vélo; si les heures passées devant la télé ou l'ordi correspondent à la norme établie. Tout élément de plaisir sera dorénavant proscrit, y compris les échanges de baisers. Le mélange des salives qui en découle est non seulement répugnant; il est hautement dangereux. La relation sexuelle pourra être suggérée pour fin dramatique, à la seule condition que les rapports officiels confirmant l'absence d'ITSS (anciennement MTS) chez les acteurs soient montrés à l'écran. Oui, nos jeunes bénéficieront d'une protection complète. Enfin presque. On ne peut hélas rien contre la connerie.