Cela n’était jamais arrivé dans l’histoire des Jutra avant l’an dernier. Pour la première fois, deux films différents s’étaient alors partagé les trophées du meilleur film (Ce qu’il faut pour vivre) et de la meilleure réalisation (Lyne Charlebois, Borderline).

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Pour la deuxième année d’affilée, les votants ont coupé la poire en deux en attribuant cette fois le prix le plus prestigieux à J’ai tué ma mère, mais en soulignant quand même le remarquable travail de réalisation qu’a accompli Denis Villeneuve avec Polytechnique. Ce faisant, le cinéaste allait cueillir, neuf ans après Maelström, le deuxième laurier de sa carrière. Il est le seul à pouvoir se vanter d’un tel honneur.

Polytechnique a beau avoir obtenu cinq statuettes, plus que n’importe quel autre film, il reste que J’ai tué ma mère ressort grand vainqueur de la 12e soirée des Jutra. Le premier long métrage de Xavier Dolan a non seulement enlevé le titre du meilleur film, mais aussi celui, très convoité, du meilleur scénario. Anne Dorval était de son côté sans rivale, et le rayonnement international du film, incontestable.

J’ai tué ma mère n’est pourtant pas un film d’exception. Mais son créateur, lui, est exceptionnel. Incontestablement. À pareille date l’an dernier, personne n’avait encore entendu parler de ce jeune homme à peine sorti de l’adolescence. Qui s’est mis en tête de tourner un long métrage sans plus attendre.

J’ai eu le bonheur d’assister à la toute première représentation du film de Xavier Dolan au Festival de Cannes. J’ai entendu les fidèles de la Quinzaine des réalisateurs (où les projections sont ouvertes au public) réagir au quart de tour ; vu le « buzz » se répandre comme une traînée de poudre sur la Croisette. Lors de la première montréalaise au Cinéma Impérial, plein au point où plusieurs spectateurs ont dû voir le film debout, le milieu du cinéma québécois s’était donné rendez-vous afin d’assister à la naissance d’un cinéaste. La personnalité même du jeune homme a suscité un emballement médiatique presque impossible à maîtriser.

Cette fulgurante mise au monde a évidemment beaucoup fait jaser. Maintenant que le film arrive au bout de son parcours, avec à sa traîne une ribambelle de prix glanés partout dans le monde, ils sont nombreux à mettre sa notoriété sur le compte de la jeunesse de son créateur plutôt que de ses qualités intrinsèques. « Je ne sais si c’est par sympathie ou par raison ; c’est le grand paradoxe de toute cette aventure », a déclaré Xavier Dolan hier soir après avoir obtenu l’ultime récompense.

Vrai que l’atteinte d’un tel degré de maîtrise dans l’écriture, avec ce sens inné du dialogue, et l’acuité du regard sur les rapports humains à un âge aussi tendre attirent l’attention. Si Dolan avait réalisé son premier long métrage à 30 ou 35 ans, les prix n’auraient peut-être pas été aussi nombreux. Et s’il était plus éteint en tant que personne, peut-être aurait-il été moins remarqué. Mais voilà : Dolan a 20 ans. L’histoire de son film – écrit à 17 ans, tourné à 19 – est connue de tous et a marqué les esprits. Il a du toupet, il est allumé, drôle, charmeur, possède un sens de la répartie hors du commun, a déjà droit à une chanson en son honneur et, hommage ultime, à son imitation par Marc Labrèche. L’histoire de son film, c’est aussi ça.

Alors, est-ce le meilleur long métrage qui a gagné hier soir aux Jutra ? À mon avis, non. Polytechnique était plus maîtrisé, plus fort. Cela dit, le sacre de J’ai tué ma mère est tout à fait justifié. Dans la mesure où il fait écho à l’émergence d’un talent d’exception qui ne pourra que s’épanouir davantage au fil des prochains films. C’est la grâce qu’on lui souhaite. Et ce sera passionnant à suivre.